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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

huguenots ! Le maître, pour dépeindre cette scène de fureur, a su trouver, pour les notes ouvertes de la trompette en , un passage où le timbre strident de cet instrument arrive à la férocité[1]. » Je souligne ce dernier mot, comme j’en ai plus haut souligné d’autres. Un tube de cuivre ne saurait exprimer la férocité que si l’âme furieuse d’un sectaire s’en fait à elle-même une voix ; et cette appropriation n’est possible que si la nature de l’instrument s’y prête avec docilité.

Il n’est pas nécessaire, croyons-nous, d’épuiser cet examen des instruments de l’orchestre au point de vue psychologique. Des exemples assez nombreux et assez divers que nous avons étudiés, une loi importante se dégage. Cette loi est au fond des travaux de nos auteurs : tous l’impliquent ou semblent la supposer : cependant nulle part je ne l’ai vue posée ; j’en ai même rencontré la négation. Mais les faits l’établissent, et la voici : Plus un instrument est jugé musical, plus il est une voix. Cette voix ne se conçoit et ne s’apprécie que par son rapport avec la voix humaine, rapport non de copie à modèle, mais de ressemblance expressive soit par le timbre, soit par l’obéissance à la volonté de l’homme. J’espère prouver plus loin que ce qu’on nomme le pouvoir descriptif des instruments ne contredit et n’affaiblit en rien la vérité de cette loi.

Pour le moment, je vais renverser l’expérience, selon le précepte de Bacon, afin d’obtenir une contre-épreuve. Si notre loi est vraie, les instruments très peu musicaux ne seront pas des voix ; ils auront peu ou n’auront point de rapports avec la voix humaine, soit par le timbre, soit par l’obéissance aux intentions expressives de l’homme.

Je ne dirai point de mal du tambour ; je ne veux pas insulter cet ancien vainqueur aujourd’hui vaincu. Il est pourtant impossible de voir en lui ce qui n’y est pas. Or on ne niera pas qu’il ne soit musical qu’à un très bas degré. Eh bien, je le demande, y a-t-il moyen de dire : la voix du tambour, comme on dit : la voix du clairon, du hautbois ? Qui donc prétendrait que le tambour est une seconde voix que l’homme s’est donnée, comme on l’écrit du violon ? Non : le son du tambour est trop voisin d’un simple bruit. De plus, entre sa résonance et celle de la voix humaine, il n’y a aucun rapport analogique de timbre. Quant à son pouvoir expressif, je ne prétends pas qu’il soit absolument nul, puisque le tambour a une place dans l’orchestre ; mais ce pouvoir serait aussi faible que possible si

  1. Ib., p. 73.