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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

ou se couvre la tête d’un linge et pousse tout à coup non pas un cri perçant, mais une note basse, forte, lourde, un hou ! que chacun connaît. Observez bien ce hou ! Il est de la même famille que les notes inférieures du basson. Il me reste à chercher pourquoi le basson tourne aisément au comique et à la voix de père noble. La voix de père noble s’explique assez par la gravité des notes basses de l’instrument. Mais d’où vient l’élément comique ? Si je ne me trompe, il réside dans l’accent du basson, qui ne laisse pas que de nasiller, quoique à un degré moindre que le hautbois. Or remarquez que la voix humaine, lorsqu’elle est basse et qu’elle nasille, fait rire, ou bien semble ricaner. À la Comédie française, nos grands acteurs le savent bien : presque toujours j’ai entendu l’Avare ou le Malade imaginaire nasiller plus ou moins aux endroits où ils doivent être extrêmement ridicules, et, inversement, dans les passages où eux-mêmes ils se moquent des autres.

Afin de rendre nos expériences tout à fait probantes, ne craignons pas de les multiplier.

L’étude psychologique du violon, du hautbois, du basson démontre, croyons-nous, que l’explication du pouvoir expressif de ces instruments ne se trouve ni dans une origine historique mal connue où ignorée, ni dans une convention quelconque, mais dans la relation tantôt plus, tantôt moins étroite de cet instrument avec la voix humaine, par conséquent dans ce que je nommerai la valeur vocale de l’appareil musical.

Considérons maintenant la clarinette. On dit que c’est un instrument romantique. Ce mot signifie qu’elle est relativement moderne et qu’elle n’a point d’origine reculée se rattachant aux sensations primitives de la danse, de la guerre, de la chasse, de la vie pastorale. Et, en effet, elle fut inventée par Denner à Nuremberg, en 1690. En outre, en disant que la clarinette est l’instrument romantique par excellence, on veut lui attribuer la puissance de répondre à des sensations musicales nouvelles. Ces derniers mots ont besoin d’être éclaircis ; l’auteur qui les a employés les explique : « Son timbre (de la clarinette), élégant et pur dans le médium, semble fait pour les phrases sentimentales et pâles de la musique moderne ; les notes de son octave basse, qu’on appelle le chalumeau, vibrantes et mystérieuses, contrastent avec les sons brillants des notes les plus élevées. On peut considérer la clarinette comme la voix féminine de l’orchestre, contralto et soprano à la fois, et douée d’une grande agilité dans toute son étendue[1]. »

  1. L. Pillaut, ouvrage cité, page 16.