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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

C’est ce qu’a admirablement montré Herbert Spencer dans un morceau de psychologie intitulé : Les origines de la musique[1]. Nous avons résumé et apprécié ailleurs ce travail de fine et pénétrante analyse. Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage lui-même. Rappelons-en seulement quelques traits, que nous nous approprions.

Pour nous, comme pour H. Spencer, la musique, où qu’on la prenne, est toujours une voix, une voix sans articulations et sans mots, jamais une langue. Herbert Spencer pense et fait voir que la musique, c’est, à l’origine, la voix humaine parlée. Même quand elle n’est que parlée, cette voix contient et laisse apercevoir à qui sait regarder tous les éléments musicaux.

Lorsque l’homme éprouve des sentiments et qu’il les exprime, plus ces sentiments deviennent vifs, plus chacun des éléments musicaux de la voix acquiert de puissance en hauteur, en intensité, en durée soumise à l’ordre et à la régularité.

Ainsi, même dans la voix parlée, un sentiment plus fort accroît l’étendue de la tonalité soit de bas en haut, soit de haut en bas. Vous appelez quelqu’un avec calme et vous dites : « Henri ! » L’intervalle entre le ton de la première syllabe et celui de la seconde sera petit. Vous appelez « Henri ! » avec un peu d’impatience, l’intervalle grandit de bas en haut. Vous l’appelez avec impatience et menace, l’intervalle grandit encore, mais cette fois de haut en bas. Et, à mesure que l’intervalle grandit, sa qualité musicale paraît de mieux en mieux, quoique la voix ne soit que parlée. Maintenant, considérez un appel vraiment musical, par exemple le « Raimbaut ! » que chante, dans Robert le Diable, Alice arrivée au rendez-vous avant son amant. L’intervalle ici est encore plus grand que dans les trois cas de tout à l’heure. Qu’a donc fait Meyerbeer ? Il a simplement agrandi en hauteur un intervalle quelle sentiment aurait agrandi déjà, quoique à un degré moindre, dans la voix parlée. Donc il n’a mis entre la voix parlée animée par le sentiment et la voix chantée animée par le sentiment plus vif qu’une différence de degré dans l’intonation, dans la hauteur sur l’échelle tonale.

En soumettant à la même expérience comparative chacun des éléments musicaux de la voix parlée et de la voix chantée, on aboutit

  1. Origine et fonction de la musique, par H. Spencer, dans l’ouvrage intitulé Essais de morale, de science et d’esthétique, tome Ier, traduit de l’anglais par M. A. Burdeau, agrégé de philosophie. Paris, Germer Baillière. 1879. J’ai con : sacré à ce très remarquable opuscule deux articles dans le Journal des savants, cahiers de juillet et août 1880. Le premier de ces articles a été reproduit par la Revue politique et littéraire du 9 octobre 1880. Ils ont été imprimés dans les Séances et Travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, janvier et février 1881.