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M. L. Pillaut n’a distingué précisément l’apport particulier de chacune des sciences qu’on vient d’énumérer dans le travail du musicologue ; mais il écrit comme si cette distinction était au fond de son esprit. Il définit le caractère en quelque sorte vocal de chaque instrument. Ces définitions seront dans l’avenir plus profondes encore et plus complètes ; elles ont dès à présent le grand mérite de tracer de haut et quelquefois de bien jalonner une voie excellente.

J’ai reproduit tout à l’heure le passage où cet auteur dit du violon que c’est une seconde voix que l’homme s’est donnée. Cette pensée si juste revient avec une clarté nouvelle quand il écrit : « Toutes les fois qu’il s’agit de traduire les émotions pressantes du drame ou les rêveries intimes de la symphonie, les archets deviennent les maîtres souverains de la phrase mélodique. » En d’autres termes, les archets deviennent les maîtres chanteurs. Et pourquoi donc cela, si ce n’est parce que les membres fraternels du quatuor, fussent-ils seuls à l’orchestre, ont toutes les voix, forment un chœur parfait, et possèdent à leur tête le plus merveilleux chanteur solo qui existe après l’homme, le violon ? Et celui-ci est d’une telle richesse qu’il a, à lui seul, presque toutes les voix. Il a été donné à certains virtuoses privilégiés de les faire entendre, notamment à Paganini, « La qualité du son qu’il tirait de son instrument, dit Fétis, était belle et pure sans être extrêmement volumineuse. Ce qui était étonnant, c’était la variété de voix qu’il faisait prendre à son instrument[1]. »

Au violon, qui est de date relativement récente, que l’on compare le hautbois, d’une antiquité reculée, presque fabuleuse, on aboutira encore au même résultat, c’est-à-dire à une voix. Le timbre de ce petit appareil est d’une individualité frappante. On accorde que ce timbre s’associe naturellement pour nous à l’image de la campagne, quoique rien n’y appartienne particulièrement à la nature et ne la peigne à l’imagination[2]. On reconnaît qu’il a gardé le privilège de toujours ramener à l’esprit les images et les sensations qui ont entouré son origine pastorale. Or comment explique-t-on cette association et ce privilège ? Est-ce seulement par l’origine pastorale de l’instrument ? Mais tous les auditeurs ne connaissent pas cette provenance, qui a dû elle-même avoir une cause psychologique. Combien d’ailleurs de rustiques virtuoses qui ne savent pas un traître mot d’histoire et qui se délectent à jouer de ce chalumeau ? Aussi dit-on que le hautbois a de la naïveté et du naturel, expres-

  1. Biographie universelle des musiciens, 2e édition, t. VI, pages 415, 16. Paris, F. Didot, 1875. — Léon Pillaut, ouvrage cité, page 32.
  2. Ch. Beauquier, ouvrage cité, page 160.