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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

caricature[1]. » Pourquoi donc ce résultat ridicule, si ce n’est parce que la contre-basse, à cause de ses dimensions, est moins maniabie, moins docile à l’ordre de la volonté, plus éloignée de l’âme et, ainsi que parle l’auteur en d’autres occasions, plus extérieure à l’homme ? Ce qui signifie une fois encore que chaque instrument est une voix d’un certain genre dont la puissance expressive s’évalue d’après sa ressemblance ou, tout au moins, d’après ses analogies avec notre voix.

Je pourrais recueillir dans le livre de M. Ch. Beauquier bon nombre d’intéressantes observations de détail sur le caractère psychologique des divers instruments de musique. Toutefois, il n’a pas consacré à chacun des individus, des personnages de l’orchestre, un chapitre spécial et je dirais volontiers monographique, comme l’a fait M. Léon Pillaut. Celui-ci, qui ne cite nulle part l’auteur de la Philosophie de la musique et qui sans doute n’a pas connu son ouvrage, semble pourtant s’être proposé de fournir, par les faits délicatement observés et décrits, la démonstration des lois et la confirmation des principes élucidés depuis longtemps par M. Ch. Beauquier. Ces concordances involontaires sont remarquables ; elles sont précieuses à constater. Je vais relever celles qui ont le plus d’importance. On a loué M. L. Pillaut d’avoir écrit la physiologie individuelle de chaque instrument ; l’éloge n’est pas immérité[2]. Cependant je crois que ce fin musicographe doit être considéré et apprécié principalement comme ayant esquissé les traits expressifs qui sont la physionomie propre de chaque instrument. Il en écrit l’histoire abrégée[3] et en explique le rôle à diverses époques. Il en décrit les transformations successives, la constitution actuelle, le mécanisme perfectionné. Toutefois il ne s’en tient pas là. Quel qu’ait été le passé d’un instrument, quelle que soit l’origine que l’érudition lui attribue, il y a une raison présente qui conseille au compositeur de employer aujourd’hui ; il a aujourd’hui une expression, un charme que ressent l’auditeur absolument ignorant de l’histoire, de l’érudition, de la physique, de la physiologie, de l’acoustique. Cette raison, cette expression, ce charme, c’est à la psychologie de les découvrir et à l’esthétique d’y prendre la substance des lois qu’elle pose. Nulle part sans doute

  1. M. Ch. Beauquier, ouvrage cité, page 173.
  2. M. Georges Guéroult, juge si compétent en matière de musique, a fort bien apprécié l’ouvrage de M. L. Pillaut dans la Revue politique et littéraire du 2 juillet 1881.
  3. Pour le passé de chaque instrument, il faut consulter Fétis, Histoire générale de la musique. Voyez aussi l’ouvrage très intéressant de M. J. Rambosson : Les harmonies du son et les instruments de musique. 1878, F. Didot.