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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

rer les instruments, dans la symphonie surtout, à ces personnages de la comédie latine ou italienne qui ont la spécialité de représenter un caractère[1]. » Vous voyez bien, objectera peut-être quelqu’un, qu’il ne s’agit que d’une comparaison. Un peu de patience : les similitudes vont être rendues de plus en plus évidentes.

Les deux auteurs ont écrit les mots significatifs de physionomie, de caractère. Ce n’étaient pas de simples distractions. Ils insistent, ils s’expliquent. « Nous ne voulons pas dire, fait observer le premier, en refusant à chaque instrument un sentiment déterminé, que tous les instruments peuvent être indifféremment employés pour jouer un chant quelconque dans un orchestre[2]. » — « Nous recommanderons aussi au compositeur ou plutôt à l’instrumentiste de conserver à chaque instrument son caractère propre[3]. » M. Léon Pillaut affirme à son tour que « la véritable science de l’instrumentation consiste précisément à confier à tel ou tel instrument les phrases qui sont en relation avec les sentiments naturels que fait naître le timbre de l’instrument choisi[4]. » Est-ce qu’il ne saute pas aux yeux que ces prescriptions, ces règles et ces définitions s’appliquent aussi exactement aux voix humaines qu’aux timbres des instruments ? Dans ces passages, remplacez partout le mot instrument par le mot voix, la vérité reste et reste la même.

Serrons les faits de plus près encore. Non contents d’avoir, en général, personnifié les instruments et de leur avoir attribué à tous sans distinction une physionomie, un caractère, une voix, les habiles observateurs que nous interrogeons ont marqué avec une, certaine précision les traits particuliers et la puissance expressive propre qui donnent à chaque instrument sa physionomie et sa voix.

Mais, avant d’accomplir ce travail curieux sur chaque instrument pris comme un individu, ils groupent les instruments par classes et ils déterminent la puissance expressive et la valeur musicale de ces classes distinctes d’êtres sonores. Or il est important de noter que, le sachant ou non, ils emploient, pour opérer cette détermination, un procédé psychologique. Ils mesurent, en effet, la valeur musicale de toute une classe d’instruments à la faculté qu’ils possèdent de se rapprocher de l’âme de l’homme et d’en devenir un organe aussi direct, aussi interne, aussi personnel que possible. Et, comme l’organe doué de cette faculté au suprême degré est la voix elle-même, il s’ensuit de là que c’est par son rapport avec la voix et avec l’âme

  1. Instruments et musiciens, page 5.
  2. Ch. Beauquier, Philosophie de la musique, page 178.
  3. Même ouvrage, page 179.
  4. Instruments et musiciens, page 6.