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il faut conclure que la musique vocale a certes, non pas son modèle achevé, mais son type inférieur, c’est-à-dire son commencement, son germe, sa première étoffe, dans la voix parlée et par conséquent dans la nature.

Et que l’on nous comprenne bien : encore un coup, non, les sons pris en eux-mêmes ne peuvent avoir de sens précis ; non, ils ne sauraient exprimer des sentiments déterminés, ni à plus forte raison des idées, puisque les idées sont déterminées ou ne sont rien. Eliminons donc pour n’y plus revenir cette fausse conception qui attribue à la musique les puissances expressives du langage articulé. Qu’il soit entendu une dernière fois que la musique n’est en aucune façon une langue, et que l’appeler une langue c’est ignorer ou méconnaître la signification de ce mot.

Toutefois, cette élimination opérée et ce point définitivement établi, il reste de la langue quelque chose de considérable. Quoi donc ? M. Beauquier l’a dit à plusieurs reprises avec une parfaite clarté. Il a constaté que, même en dehors des mots, en dehors de l’articulation, les sons d’une langue ont la hauteur, l’intensité, le timbre, le rythme ; et que ces divers éléments musicaux, que l’on peut percevoir alors même que l’on n’entend pas les mois, varient suivant l’expression différente des mots. Il a affirmé que, en dehors des mots, la voix humaine a des intonations diverses qui forment comme un chant dans le langage. Il a vu que, par exemple, le timbre de la voix, chez les orateurs, peut avoir un charme extraordinaire, « abstraction faite des différences d’articulation qui forment les mots. » L n’a pas hésité à déclarer que le ton de la voix indique la bienveillance, le dédain, la pitié, la colère. En sorte que, d’une part, il trouve dans la voix parlée la hauteur, le timbre, la durée, le rythme, le mouvement, qui sont les éléments mêmes dont se compose la musique, et, d’autre part, il reconnaît que ces éléments, même sans les mots, arrivent à indiquer, par conséquent à exprimer jusqu’à un certain point la pitié, la colère, la bienveillance, c’est-à-dire évidemment quelque chose de nos sentiments.

Or, si dans la voix humaine parlée, même sans les mots, on retrouve tous les éléments musicaux, et si on les retrouve avec les nuances de leur force expressive, il en résulte que, de l’aveu même de M. Beauquier, la musique vocale tout au moins, loin d’être conçue en dehors de la voix humaine, n’est, au contraire, conçue que par ses rapports et par ses profondes analogies avec la voix humaine parlée,

Cependant la voix parlée et la voix chantée diffèrent. Mais il est maintenant prouvé qu’elles ne diffèrent pas quant à la nature ; donc entre elles la différence ne résidera que dans le degré.