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VERNES. — de l’idée religieuse

Hartmann, à savoir son affirmation du progrès religieux, nous ne saurions nous inquiéter beaucoup du couronnement brillant qu’on lui promet. « La pointe doit venir, » dit-il dans un langage dont la clarté ne laisse rien à désirer. À quoi nous répondons : Elle viendra — ou devra venir — pour ceux-là seuls qui, ayant d’abord admis le progrès, estiment, en second lieu, que l’humanité a essayé de toutes les voies, excepté d’une seule, la bonne, et qu’elle est résolue à user de ses expériences pour éviter toutes ces impasses reconnues au prix de beaucoup d’efforts et entrer enfin droit au port. Or nous avons vu que ce n’est point un vaisseau unique qui s’est engagé successivement dans tant de voies sans issue et qui, profitant de sa connaissances, va cingler directement sur le quai d’abordement. C’est tantôt un peuple, tantôt l’autre qui a expérimenté telle forme de l’idée religieuse ; il est exorbitant d’assurer dans ces conditions que l’humanité sait désormais où elle va.

Mais ce port lui-même, c’est une nouveauté vieille comme le monde. L’idée de l’immanence divine ne semble guère le céder en antiquité à celle de l’hénothéisme naturaliste ou du théisme supra-naturaliste. La conception d’un Dieu dirigeant le monde sans en être séparé, le dominant sans s’inféoder à telle de ses énergies, mais les alimentant tour à tour, est une belle et grande idée, familière à l’antiquité classique et qui a fait la satisfaction de beaucoup de bons esprits dans le passé, comme elle la fait dans le présent.

Troisième point. — Si cette vue moniste et réaliste à la fois, supérieure pour nous, comme pour M. de Hartmann, au naturalisme ainsi qu’au supranaturalisme, est en réalité, comme nous venons de le dire, leur contemporaine, le rejet de la seconde thèse de l’éminent écrivain ne nous oblige nullement à opter pour le lugubre dénouement dont il nous menace en cas d’hésitation. Ou progrès et victoire, ou humiliation et chute, s’écrie-t-il. Nous dirons à notre tour : Ni victoire ni chute. Parce que nous hésitons à constater le progrès qu’aurait fait l’humanité en passant de la première zone de l’ascension vers Dieu à la seconde, parce que nous contestons que la solution préconisée, panacée de la religion aux abois, soit aussi définitive et aussi nouvelle qu’on voudrait nous le faire dire, parce qu’enfin les trois définitions principales de l’idée religieuse où M. de Hartmann résume mille nuances souvent délicates à saisir, nous semblent beaucoup plutôt être contemporaines que successives et progressives et nous paraissent, dans les courts milliers d’années de la vie humaine dont quelque connaissance nous est parvenue, tour à tour mieux adaptées à certains groupes, à certaines tendances, à certaines cir-