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l’humanité prise en bloc. Mais c’est même une illusion que de parler ici de quatre ou cinq mille ans ; le prétendu progrès de l’idée religieuse affirmé par M. de Hartmann tient tout entier dans deux petits milliers d’années, je pourrais presque dire dans quinze cents ans et, à certains égards, dans mille années. L’essence du christianisme, degré le plus avancé du supranaturalisme, se retrouve dans les écrivains du premier et du second siècle de notre ère ; la plupart des autres points de repère, nous l’avons déjà fait remarquer, sont du premier millénaire avant l’ère chrétienne, quelques-uns du second : l’Égypte seule est plus antique. Eh bien, c’est avec ces deux jalons, plantés à quelques centimètres de distance sur l’interminable voie où chemine l’humanité, qu’on prétend nous donner la formule du développement de la plus compliquée de toutes les choses humaines, la formule de l’évolution de la conscience et de la pensée religieuses. C’est sur cette base étroite et chancelante qu’on prétend échafauder l’affirmation triomphante du progrès religieux, parce qu’on assure que jamais l’humanité ne se serait avancée de a jusqu’en b, si elle n’était providentiellement destinée à s’avancer jusqu’au point c, où M. de Hartmann tient à sa disposition les trésors réconfortants du monisme concret. On va plus loin : on prétend qu’au point c l’humanité cessera d’avancer, parce qu’elle aura atteint le but de sa marche. Et sur quoi se fonde cette assertion plus qu’étrange ? Sur une analyse et une description purement aprioristiques des différentes formes que peut revêtir le sentiment religieux chez l’homme, corroborée par une prétendue démonstration historique, que toutes ces formes, sans exception aucune, ont été essayées jusqu’à présent, que l’humanité est arrivée ainsi au pied d’une muraille et qu’il ne lui reste plus qu’à mourir à sa base ou à la franchir d’un vigoureux et suprême élan.

Sans insister davantage sur ce qu’il y a d’excessif à présenter comme un progrès de l’humanité entière ce qui serait tout au plus le progrès d’un groupe limité de peuples civilisés dans une époque peu éloignée de nous et sur un espace de temps restreint, il nous faut répondre à trois questions qui se posent ici : 1o Les documents historiques nous autorisent-ils à affirmer qu’il y a eu progrès, si limité soit-il, dans l’idée religieuse ? 2o Ce progrès, à le supposer admis, a-t-il des caractères tels que nous devions attendre à bref délai un état qui représentera son terme dernier et suprême ? 3o Devons-nous au contraire, toujours dans l’hypothèse du progrès prétendu, rejeter l’idée d’une satisfaction totale donnée aux aspirations humaines à la poursuite de l’idéal religieux ?

Premier point. — L’histoire atteste-t-elle un progrès de l’idée reli-