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VERNES. — de l’idée religieuse

doute dans le naturalisme ; mais de bonne heure, avec le brahmanisme et plus tard avec le bouddhisme, elle se lance dans les voies du terrain supranaturaliste sans avoir poussé jusqu’au bout l’épreuve du naturalisme. Nouvel et plus grave accroc : le parsisme, qui, lui, appartient au naturalisme, n’est pas plus vieux que le brahmanisme, ce qu’il devrait être de par la théorie. Heureux s’il n’est pas plus jeune ! Le pis est que, tandis que les frères ainés s’avancent délibérément sur les voies du monisme abstrait (terrain du supranaturalisme), les frères cadets, venant bien des siècles après, se trouvent en plein terrain naturaliste ! C’était là une insupportable contradiction avec la théorie. Ces incommodes témoins devaient être dispersés au plus tôt dans les régions les plus éloignées. L’auteur ne s’en est pas fait faute.

La famille religieuse égypto-sémitique semble, au premier abord, moins réfractaire à la trilogie progressive : naturalisme hénothéiste, supranaturalisme théiste, monisme concret. En effet, soit l’Égypte ancienne, soit la religion israélite primitive témoignent du premier degré ; mais, tandis que l’Égypte n’en sort pas et n’aboutit en réalité à rien, la religion israélite ne s’y arrête point assez pour figurer parmi les représentants légitimes de la première étape de la conscience humaine. Il n’est pas non plus qu’on n’ait vu par quelle ingénieuse décomposition de la période théiste en monothéisme primitif, en religion de l’hétéronomie et en religion de l’hétérosotérie, M. de Hartmann dissimule ce que je me permettrai d’appeler un véritable piétinement sur place du monothéisme.

Il résulte de cette contre-épreuve que M. de Hartmann était obligé de briser violemment le double arbre religieux de l’humanité, reconstitué au prix de tant d’efforts par la science du présent siècle, pour donner à sa thèse héroïque l’apparence au moins de la solidité, Mais alors il faut cesser de nous parler d’une progression historique.

L’humanité est sans doute bien vieille sur la terre. Sur les cinquante et cent mille ans — moins ou plus, je l’ignore — qu’elle a vécu, nous en connaissons partiellement cinq, six ou sept mille, selon les lieux et les peuples. M. de Hartmann entreprend de nous montrer que, pendant cette période relativement si courte, elle est partie en religion du point a pour arriver au point b, que ces deux points déterminent une ligne droite et que, par conséquent, ladite humanité va infailliblement passer par un troisième point c situé quelque peu en avant du point atteint par elle à l’heure présente.

C’est bien peu de disposer de témoignages relatifs à quelques milliers d’années, quatre ou cinq mille en moyenne, quand on veut marquer l’évolution d’un organisme vivant, aussi compliqué que