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Comme il y aurait eu filiation, transmission, héritage, il serait permis de parler de progression, tandis que, de la façon dont s’y est pris M. de Hartmann, tout historien se refusera à admettre l’emploi d’un tel terme. Or on pourrait faire remonter les premières idées égypto-sémitiques à quatre mille ans avant l’ère chrétienne (sinon plus haut), les premières idées indo-européennes à deux mille ans ou un peu au delà ; de ces temps reculés jusqu’à nos jours voilà un espace assez long pour que l’observateur puisse espérer y saisir l’évolution et donner, en connaissance de cause, à cette évolution le nom de progrès.

Pourquoi M. de Hartmann n’a-t-il pas agi ainsi ? Je ne vois qu’une raison qui ait pu lui faire préférer un autre mode de démonstration : c’est que son cadre philosophico-théologique, c’est que les catégories a priori qu’il avait tracées au progrès religieux, ne s’y seraient point retrouvées, du moins pas avec la même sûreté. Je me permets pourtant de lui dire qu’il devait à son nom et qu’il devait à l’énorme travail que suppose l’ouvrage que nous avons sous les yeux, de ne point le livrer au public sans essayer sur sa théorie, au moins comme contre-épreuve, l’emploi d’une disposition des matières plus appropriée au présent état de l’histoire des religions. Sans doute, il n’est pas sorti du cercle des deux grandes familles égypto-sémitique et indo-européenne, mais il les a disloquées violemment, mettant leurs membres à droite ou à gauche, devant ou derrière, au seul profit de sa théorie.

Je dois, à mon tour, me demander, pour remplir jusqu’au bout mon rôle de critique, dans quelle mesure l’examen séparé de chacune des deux grandes séries religieuses historiques confirme ou infirme la thèse de M. de Hartmann. Cette thèse, ne le perdons pas de vue, n’est pas de celles dont on puisse prendre une partie et rejeter le reste : l’auteur l’a répété avec trop de résolution pour qu’on ne cède à son impérieuse volonté ; c’est, selon l’expression vulgaire, à prendre où à laisser. Donc, d’après l’éminent écrivain, l’humanité, engagée d’abord dans les voies du naturalisme hénothéiste, n’a pu songer à en franchir les limites qu’après avoir été successivement au bout de toutes les voies qui s’ouvraient à elles sur ce terrain et qu’après les avoir successivement rejetées, constatant qu’elles ne la menaient pas au but recherché. Cette constatation douloureuse accomplie, elle s’est transportée sur le terrain du supranaturalisme, en a de nouveau abordé tous les sentiers et reconnu une seconde fois son impuissance. Ce qu’elle n’a pu trouver sur ce double terrain, elle le trouvera sur un troisième et dernier.

Or, prenons la famille religieuse indo-européenne. Elle plonge sans