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quence, être considérés à aucun titre comme un premier degré de l’idée religieuse frayant la voie à un progrès ultérieur, c’est que judaïsme, brahmanisme et bouddhisme, et je dirai le christianisme aussi, sont les contemporains, sinon les ainés, du parsisme, de l’hellénisme, du romisme et du germanisme. Ainsi tout l’édifice croule.

Il n’y a là aucune surprise, moins encore de mauvaise volonté de notre part, puisque la thèse philosophique de M. de Hartmann est loin de nous être antipathique, qu’avec lui nous croyons la théologie chrétienne discréditée auprès des esprits plus réfléchis que mystiques par son dualisme invétéré, qu’avec lui nous croyons que l’idée de la divinité conçue comme un esprit immanent au monde et à l’homme est la seule que puisse avouer l’avenir. Mais quand on nous somme de déclarer que l’édifice religieux de l’humanité, en attendant le couronnement promis, se compose de deux étages, chacun reposant sur cinq colonnes, le premier portant le second, le second prêt à recevoir la majestueuse coupole destinée à abriter les générations futures, nous nous refusons à admettre qu’on puisse nous faire tenir comme successifs, comme s’enchainant, se conditionnant et s’engendrant, des états qui ne sont que simultanés ou parallèles. — Reprenons de plus près cette question des dates, sans lesquelles l’édifice de M. de Hartmann n’aurait pas de raison d’être, mais dont le témoignage malheureusement se tourne contre lui.

L’hellénisme appartient au millénaire qui précède l’ère chrétienne, spécialement à la seconde moitié ; le romisme à la seconde moitié de ce même millénaire, qu’il franchit ; le germanisme est plus récent encore. L’Égypte, si elle nous fait remonter beaucoup plus haut, nous amène, elle aussi, aux environs du christianisme ; le parsisme, ancien dans ses germes, s’est vu singulièrement rajeunir par les récents travaux. Voilà pour ce que je me suis permis d’appeler la première zone ou zone du naturalisme.

Le brahmanisme datant à son tour du second millénaire avant l’ère chrétienne, et le bouddhisme du premier, il m’est impossible de voir comment l’humanité s’est trouvée passer, comme le prétend l’éminent écrivain, du naturalisme au supranaturalisme. Avec la religion des anciens israélites nous remontons au moins à la première moitié du premier millénaire avant l’ère chrétienne ; avec le judaïsme proprement dit, nous nous cantonnons dans la seconde, et le christianisme, au moins dans la doctrine de l’apôtre Paul où M. de Hartmann le ramène essentiellement, est du premier siècle de notre ère.

Si les différentes religions invoquées par M. de Hartmann pour attester le progrès de l’idée religieuse dans l’humanité, résistent aux