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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

aux mots leur véritable et à proprement parler leur seul caractère de signes, par cela même qu’il s’y trouve des sons, ces sons ont différentes qualités de hauteur, d’intensité, de timbre, etc. Ces différentes qualités, jointes au mouvement, constituent le chant ou l’intonation.

« L’intonation se trouve liée la plupart du temps à des sentiments et à des idées. Elle sert d’accompagnement, de surcroît d’expression aux mots, et varie selon le sens qu’ils contiennent. Que chacun se rappelle ce qu’il entend autour de lui. C’est un homme épais, lourd, avec un ventre énorme, dit-on en appuyant lentement et pesamment sur chaque syllabe : et au contraire : C’est un petit homme sec, pétulant, l’œil vif ; et l’on prononce chaque mot avec toute la sécheresse et la vivacité qu’on peut y mettre. Veut-on indiquer un endroit éloigné, on répète plusieurs fois le mot pour allonger la durée, on traine ou l’on porte la voix, en l’affaiblissant même comme pour imiter un son qu’on entend dans le lointain : C’est bien loin, bien loin, bien loin, là-bas.

« Ces intonations diverses, qui forment comme un chant dans le langage, augmentent la signification des mots, souvent même y suppléent, comme l’accent ironique ou menaçant donné à une phrase qui, au pied de la lettre, n’aurait pas cette signification. Ne peut-on pas mettre dans le même mot une foule de sens par des nuances d’intonations ? Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, cette simple phrase : Vous n’irez pas, selon le ton de la voix, peut contenir une menace, un défi, une raillerie, une interrogation, etc. C’est ce surcroit d’expression qui fait la supériorité de la langue parlée sur la langue écrite[1]. »

Oui, sans doute. Un nouveau degré d’intonation et de mesure produira un nouveau surcroît d’expression, et ce sera non plus le chant de la parole ordinaire, mais Je chant de la langue poétique, du vers. Puis, encore un autre degré d’intonations analogues, avec plus de mesure encore et de rythme, et nous aurons la parole chantée, la musique vocale. Comme M. H. Spencer, dont cette page semble n’être que l’écho, je ne saurais voir entre les formes diverses qu’on vient d’énumérer que des gradations d’un seul et unique phénomène. L’intonation de la parole ordinaire est le minimum, le commencement de la musique ; et voilà pourquoi M. Ch. Beauquier à raison de dire : le chant de la parole. La musique vocale est le maximum, la grandeur portée à sa perfection et à son plus haut point de l’élément de chant qui se trouve dans la voix parlée. D’où

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