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tandis que l’autre préfère tenter les sentiers de gauche. Au bout de quelque temps, elles se retrouvent et se tendent la main, mais toujours sur une terrasse supérieure à la précédente,

Si notre époque avait conservé le goût des images allégoriques, on pourrait transporter sur le papier l’image de cet assaut donné à l’idée divine, et l’on verrait le xxe siècle, monté sur la double épaule de l’hindouisme et du christianisme, du monisme abstrait et du théisme, planter, par la main de Hartmann, le drapeau du monisme concret sur la plus haute cime, sur le suprême ressaut du pic divin. À défaut de ce secours, bornons-nous à un tableau, où nous respecterons la disposition ascensionnelle pour plus de clarté, et qu’il faut lire en commençant par le bas.

L’humanité est au pied de la montagne ; elle entre immédiatement dans la one la plus basse, celle de l’hénothéisme naturaliste ; elle bifurque bientôt par la double voie de la spiritualisation anthropoïde et de la systématisation théologique de l’hénothéisme. Trois groupes dans la première de ces directions (Grecs, Romains, Germains), deux dans la seconde (Égypte, Perse ancienne) battent le terrain en tous sens sans trouver pour la conscience religieuse la formule capable de la satisfaire.

Il faut donc franchir la première zone et s’aventurer dans une nouvelle région, celle du supranaturalisme. Ici encore, deux voies sont tentées : dans l’une s’avancent les peuples de l’Inde, cherchant dans le monisme abstrait la solution du problème suprême ; mais ni le brahmanisme avec son acosmisme, ni le bouddhisme avec son illusionisme absolu, n’y parviennent. Dans une direction parallèle s’avancent juifs et chrétiens, l’israélitisme ancien avec son monothéismne primitif, le judaïsme de plus récente époque avec son idée de la loi morale dictée par la divinité et extérieure à l’homme comme elle-même (hétéronomie), le christianisme avec son dogme de salut conquis par un autre (hétérosotérie). Mais, malgré des efforts aussi énerques qu’habiles, le sommet continue de se dérober ; il devient clair que l’effort séparé de chacune des deux troupes se brisera aux pieds de la dernière barrière à franchir. Le jour seulement où la tradition de l’Inde et la tradition juive-chrétienne, impuissantes jusque là, l’une dans ses abstractions, l’autre dans son dualisme théiste, comprennent que le moment est venu de se donner la main, le dernier échelon qui séparait l’humanité de la possession du divin est franchi. Une foule joyeuse escalade la terrasse la plus haute et proclame le Dieu-Esprit.