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VERNES. — de l’idée religieuse

L’histoire du développement de la conscience religieuse n’est pas autre chose que le processus de l’esprit arrivant graduellement à se reconnaître au point de vue religieux : à partir du moment où l’objet du rapport religieux est reconnu comme étant Dieu-Esprit, et où ce Dieu-Esprit est saisi en qualité de principe d’immanence autonome et autosotérique de la conscience religieuse, ce processus est achevé en principe et n’est plus susceptible que d’une pénétration plus intime et plus riche. »

Cette religion de l’esprit, véritable religion de l’avenir selon l’expression dont l’écrivain s’est servi précédemment, ne saurait s’appeler ni christianisme ni théisme. « Ce n’est plus le christianisme, parce que Christ y a cessé d’être un principe objectif ou subjectif de salut, parce qu’il a cessé d’y être le principe de vie religieuse et l’objet du rapport religieux, et parce qu’un christianisme sans Christ serait une contradictio in adjecto ; ce n’est point non plus un théisme, soit au sens unitaire soit au sens trinitaire du mot, puisque l’Esprit absolu cesse d’y posséder une personnalité divine propre, distincte de l’humaine. La divinité, en tant qu’Esprit absolu, est une, et en tant qu’une, à la fois fondement absolu et essence absolue du monde : aussi le nom de monisme convient-il à cette religion. Toutefois la pluralité des personnes divino-humaines n’est pas une illusion, et l’un impersonnel devient concret en chacune d’elles, de façon à donner naissance à une personnalité réelle. Donc l’unité de la divinité n’est pas une unité abstraite, je veux dire une unité exclusive de la pluralité réelle, mais une unité incluant en elle-même la pluralité réelle comme révélant la variété propre contenue en son sein. En tant que l’esprit absolu un cherche et trouve sa propre concrescence dans l’infinie variété de personnalités divino-humaines séparées, ce monisme cesse d’être abstrait et doit prendre le nom de monisme concret. »

Le monisme concret est, on le voit, la troisième et dernière forme possible de la religion supranaturaliste après le monisme abstrait et le théisme. En présence de ces deux développements antérieurs de la conscience et de l’idée religieuse dont l’histoire nous atteste simultanément l’existence dans les religions de l’Inde, d’une part, dans le judaïsme et le christianisme, de l’autre, le monisme concret représente un moment supérieur qui est leur véritable synthèse. L’hénothéisme naturaliste s’était dépassé lui-même sous cette double forme du supranaturalisme encore incomplet, non arrivé à sa pleine et haute maturité ; ces deux séries parallèles trouvent leur couronnement et leur achèvement dans le monisme abstrait : suprême satisfaction donnée à la conscience en recherche du divin. Le monisme