Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
revue philosophique

bénéfice d’une réconciliation avec la divinité qui s’est opérée en dehors de lui ; à la religion de la loi s’est substituée une religion réaliste du salut, mais une religion hétérosotérique, puisque l’auteur de ce salut est placé en dehors de l’humanité : l’homme se sauve, mais par un autre. Cette partie capitale de l’évolution de l’idée religieuse est traitée avec un détail et un soin extrêmes dans l’ouvrage de M. de Hartmann ; c’est là en effet que réside et gît le christianisme, lequel devait au cours des siècles recevoir un certain nombre de compléments, mais sans voir se modifier ses éléments constitutifs.

On voit bien vite par où cette nouvelle solution du problème religieux devait échouer, à savoir par son caractère d’hétérosotérie. « L’erreur fondamentale de la religion de la rédemption chrétienne, c’est de s’imaginer avoir fait quelque chose pour la solution du problème en ce qui concerne l’individu, parce qu’elle en a donné la solution en et pour Jésus-Christ. »

Dieu doit donc cesser d’être conçu essentiellement comme père à la façon du judaïsme, ou comme fils à la manière du christianisme ; il faut le concevoir comme esprit. « De même que, dans la religion du Père, le père était l’objet, sinon unique, au moins principal, du rapport religieux, de même que, dans la religion du Fils, le fils refoulait le père au second plan et devenait lui-même l’objet central du rapport religieux, ainsi, dans la religion de l’Esprit, le fils sera à son tour refoulé par l’esprit. »

Dans l’idée du Dieu-Esprit se retrouvent tous les éléments que la conscience religieuse cherchait et trouvait dans le Père et dans le Fils ; il s’y trouve plus encore, parce que ce Dieu-Esprit est en réalité ce principe de rédemption que ceux-là prétendaient être sans succès. C’est la forme unique sous laquelle la divinité, conçue d’une manière supranaturaliste, peut satisfaire les aspirations les plus hautes et les plus profondes de l’âme humaine tendant à s’unir réellement au divin. « Le père est Dieu en et pour soi ; le fils est, si l’on veut, Dieu pour un homme, mais pour un homme seul et en qualité de dieu-homme pour soi seul ; l’esprit, à son tour, est Dieu pour nous, Dieu pour tous, qui rend possible à chacun de devenir fils. » C’est donc dans le Dieu-Esprit que l’être humain doit trouver l’unique et véritable objet du rapport religieux.

Du même coup, nous allons passer du domaine de l’hétérosotérie à celui de l’autosotérie. « Tout ce que Le développement de la conscience religieuse dans l’humanité a mis au jour est, en fait bien que d’une façon inconsciente, l’œuvre du principe de l’immanence, autonome et autosotérique, là même où ces effets ont été, par une sorte de projection erronée, reportés à des êtres divins transcendants.