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VERNES. — de l’idée religieuse

une législation complète et rigoureuse fixant pour toujours et à jamais les moindres détails. « Le contenu tout entier de la conscience religieuse et morale est subordonné ainsi au principe de l’hétéronomie ; ce principe est élevé lui-même pour la conscience à l’état de principe. »

Etait-ce là un recul, comme quelques-uns le prétendent ? Non, mais une étape nécessaire dans la route où s’avançait l’humanité, « l’hétéronomie étant dans la vie des peuples, comme dans la vie des individus, un point intermédiaire et inévitable entre la naïve indiscipline, qui est le point de départ, et l’autonomie morale, qui est le point d’arrivée. »

La religion de la loi extérieure imposée à l’homme par la divinité doit faire son temps ; mais, au travers des circonstances variées et des révolutions par lesquelles passe le judaïsme, elle se montre impuissante à satisfaire pleinement la conscience. Les différents essais de réforme même qui se produisent vers les temps de la fondation de l’empire romain sont insuffisants à l’arracher de l’ornière de l’hétéronome. Ces essais de réforme sont d’une part l’esséisme ou essénisme, de l’autre le christianisime sous sa première forme ou judéo-christianisme. Qu’est-ce en efet que le christianisme primitif prêché par Jésus de Nazareth et proclamé par le cercle de ses premiers adhérents, sinon la religion de la loi avec un renforcement de l’attente messianique et « l’application faite de cette attente messianique à la personnalité d’un prophète méconnu pendant sa vie et mis à mort » ? Si donc Jésus de Nazareth reste l’auteur de la grande révolution religieuse dont le premier siècle de notre ère a été le témoin, il n’est pas à proprement parler le fondateur du christianisme. Cet honneur, d’après M. de Hartmann, qui suit encore ici une opinion considérable en critique, revient à l’apôtre Paul, qui a brisé l’enceinte du judaïsme et transporté la secte nouvelle sur le terrain gréco-romain, parce que sous sa plume et dans sa bouche la « religion de l’hétéronomie » est devenue une « religion réaliste de la rédemption ».

Sant Paul est un homme extraordinaire : il est à la fois le théologien et l’apôtre de la foi nouvelle. Grâce aux épîtres authentiques que nous avons conservées de lui, l’originalité de sa spéculation nous apparaît d’une façon lumineuse. Il déclare, au scandale du judaïsme traditionnel, que la mort du Messie Jésus de Nazareth marque la déchéance de la loi, que cet être supra-humain a détruit dans sa personne le péché qui accablait l’humanité souffrante, que, pour avoir part à cette délivrance, l’homme doit s’identifier au Christ par la fui, « mourir et ressusciter » avec lui. Le fidèle obtient donc le