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l’essence de la divinité en dehors des bornes de la matière, mais il n’atteint pas encore à l’idée de l’absolu. Il spiritualise et moralise l’idée divine, sans parvenir à la dénaturaliser complètement. La conception d’une personnalité anthropopathique apparaît comme la forme appropriée à ce Dieu spirituel-moral, mais non encore absolu ; mais cette personnalité n’est point encore transcendante, parce que l’idée naturaliste de l’esprit conçu comme créateur où souffle de Dieu maintient l’immanence de la substance divine dans tous les êtres vivants comme constituant leur principe de vie spirituel. Les problèmes de l’union de l’absoluité et de la personnalité, de la personnalité et de l’immanence, ne sont donc point encore parvenus : à une claire conscience, parce qu’on n’a pris au sérieux ni l’absoluité ni la spiritualité, et que l’idée de la personnalité n’a encore aucune signification strictement saisissable, mais une signification plutôt poétique et fantaisiste. »

Du « monothéisme primitif », nous passons à la « religion de la loi ou religion de l’hétéronomie ». Conformément aux résultats qui tendent à prévaloir dans les cercles savants, M. de Hartmann estime en effet que le code à la fois rituel, civil et moral, désigné par la tradition sous le nom de loi de Moïse, appartient pour la plus grande partie à l’époque qui suivit le retour de Babylone et représente un moment de la pensée israélite ultérieur à la grande floraison prophétique qui marque les derniers temps du royaume de Juda.

Au point où en était arrivée la pensée prophétique touchant la divinité, l’hétéronomie des prescriptions religieuses et morales devait en devenir le corrélatif nécessaire. En effet, dans d’autres régions l’unité de la loi morale pouvait être opposée à la pluralité divine. Là où l’on rencontre la croyance à une telle pluralité, on en conclut volontiers à un ordre moral du monde supérieur aux volontés divines isolées. Dans le cas, au contraire, où la pluralité divine se fond en une personnalité unique, l’idée de l’ordre moral du monde est à son tour absorbée complètement dans cette personnalité et n’apparaît plus que comme une émanation de sa sagesse et de sa sainteté Cette tendance à la conception de l’hétéronomie est sans doute en germe chez les prophètes hébreux ; mais les observances morales auxquelles ils attachent une valeur particulière sont, en quelque mesure, les produits naturels de la conscience et ne réclament pas pour être connues une révélation spéciale de la divinité. Aux cas particuliers qui peuvent se présenter répondront aussi des communications spéciales, Le mosaïsme substitue à ces révélations intermittentes et fragmentaires une révélation unique et définitive, embrassant toutes les circonstances comme tous les cas de l’activité morale et religieuse,