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le théisme, au contraire, nie le naturalisme d’une façon positive, en déterminant la personnalité spirituelle du dieu absolu comme étant le fondement même de la nature élevé au-dessus de toute naturalité. Mais le monisme abstrait ne peut pas s’en tenir au vide indéterminé de son absolu, et les déterminations qu’il lui donne doivent être spirituelles, puisqu’elles ne sauraient être naturelles ; le théisme, de son côté, ne peut pas en rester à une personnalité anthropopathique, parce qu’une telle personnalité repose sur le sol de l’individualité naturelle et retombe ainsi dans le cercle de la nature. Le théisme réclame, en conséquence, l’idée d’une personnalité purement spirituelle, absolue, infiniment élevée au-dessus des personnalités finies telles que l’homme.

Ainsi le monisme abstrait, en spiritualisant l’absolu conçu à l’origine d’une façon indéterminée, et le théisme, en conférant l’absolu au dieu conçu primitivement d’une façon personnelle et anthropopathique, tendent tous deux au même but supranaturaliste de l’Un conçu comme absolu spirituel ou de l’Un conçu comme esprit absolu. Dans ses commencements, le monisme abstrait n’a sans doute pas les allures d’un pur supranaturalisme, parce que sa position purement négative à l’égard de la nature rend, en l’absence d’un point d’arrêt précis, presque inévitable psychologiquement un retour, dans la pratique, à la grossière naturalité dont on a affirmé la non-vérité. Le théisme lui non plus n’apparait pas d’emblée comme un pur supranaturalisme, parce que, après avoir effacé tous les anthropomorphismes, il reste longtemps encore embarrassé dans des anthropopathismes qui ne sont pas conçus comme de purs symboles. Toutefois l’un comme l’autre saisissent avec pleine conscience un principe essentiellement supranaturaliste, et le travail consacré à leur développement a pour objet de faire ressortir ce principe d’une façon de plus en plus lumineuse. Il faut cependant, pour obtenir ce haut et définitif résultat, que chacune de ces tendances sacrifie ce qu’elle a d’exclusif dans ses origines, qu’elles se débarrassent ainsi de l’opposition qu’elles nourrissent l’une à l’égard de l’autre, de façon à donner naissance à une troisième forme religieuse, qui n’est plus ni l’une ni l’autre, ni monisme abstrait (religions de l’Inde), ni théisme (judaïsme et christianisme), mais réalise l’objet suprême à la formation duquel toutes deux conspiraient sans en avoir conscience, le monisme concret.

En se reportant à la brève analyse que nous avons donnée plus haut de la Religion de l’avenir, on peut voir que la pensée de M. de Hartmann est restée singulièrement fidèle à elle-même. Ce qu’il avait avancé, il y a quelques années, sous la forme et avec les allures