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Voilà ce que nous prétendons impossible à admettre, pas plus qu’en partant de cette donnée que le geste exprime aussi des émotions, des affections et des passions, on ne pourrait dire que la danse est la langue des sentiments[1]. »

Certes non ; aucun observateur exercé ne confondra les sons de la voix parlée avec la musique. Si cette confusion était possible, il n’y aurait pas deux choses distinctes, la voix parlée et la voix chantée ; il n’y en aurait qu’une sous deux noms dont l’un serait de trop. La différence est donc certaine, incontestable. Mais de quel genre est cette différence ? Est-elle assez radicale pour qu’il soit exact de dire que l’art musical peut se concevoir tout à fait en dehors de la voix humaine parlée ?

Le lecteur n’a-t-il pas fait involontairement cette remarque au sujet de la page citée tout à l’heure, c’est qu’il y a des endroits de ce vigoureux morceau qui s’appliquent aussi bien à la voix parlée qu’à la voix chantée, tellement qu’on s’y trompe par instants et qu’on ne suit plus de laquelle des deux parle l’auteur ? Cette erreur ou, si l’on veut, cette illusion se produirait-elle si, entre les deux voix, il y avait une différence de nature et d’essence ? Évidemment non. Qui sait ? Peut-être la différence n’est-elle que dans le degré ?

« La détermination qui manque essentiellement à la musique, dit M. Beauquier, la voix, qui est un instrument destiné spécialement à la vie intellectuelle, à l’échange des idées, aux relations des hommes entre eux, la voix peut la lui donner, d’abord par ses diverses modifications générales, accents, intonations, etc., qui constituent en grande partie le langage naturel, et ensuite par les mots, c’est-à-dire par les sons articulés émis en même temps que les sons musicaux[2]. »

Ainsi, en éliminant les mots, les sons articulés, l’auteur signale dans la voix humaine des accents, des intonations, des sons musicaux, etc., et il attribue à ces éléments, c’est-à-dire aux accents, aux intonations, aux sons musicaux une partie du pouvoir déterminatif que possède la voix humaine. Quelle est au juste cette partie et comment la reconnaître et la définir ?

M. E. Hanslick[3] a très bien vu que la lumière, dans cette question, doit être demandée à l’étude des rapports de la musique avec le langage parlé. M. Ch. Beauquier pense tout à fait de même. Son analyse de ces rapports est d’une rare justesse. Qu’on en juge :

« Dans une langue, abstraction faite de l’articulation qui donne

  1. Page 86.
  2. Page 127.
  3. Dans l’ouvrage Du beau dans la musique, déjà cité plus haut.