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VERNES. — de l’idée religieuse

et ce sont les puissances naturelles qui engendrent l’esprit, celui-ci n’existant ni derrière elles ni en elles ; alors la religion n’est qu’une illusion psychologique fatale, dont l’intelligence est appelée non moins fatalement à se débarrasser. Ou bien la nature n’est que le produit d’un esprit situé à la fois derrière elle et au-dessus d’elle, d’un esprit qui la pénètre de part en part. Dans ce second cas, ce n’est plus la nature, c’est l’esprit qui est Dieu ; la religion devient une vérité dans la mesure où le naturalisme est faux : la religion fondée sur une base naturaliste est une impossibilité, il la faut transporter sur le terrain du supranaturalisme.

La portion de l’ouvrage consacrée aux religions qui se sont placées sur la base du supranaturalisme est de beaucoup la plus considérable. Nous ne disons pas qu’elle soit la plus étudiée, car le même soin se remarque dans toutes les parties ; mais elle attirera l’attention, en raison même des développements que l’auteur a jugés nécessaires à l’intelligence complète de sa pensée.

L’auteur y marque deux divisions principales, le monisme abstrait ou religion de salut idéaliste et le théisme. Le « monisme abstrait » comprend l’étude du brahmanisme (l’acosmisme dans le brahmanisme) et celle du bouddhisme (l’illusionisme absolu dans le bouddhisme). Le « théisme » traite du monothéisme primitif ( a. l’hénothéisme naturaliste de l’Israël ancien ; b. la réforme monothéiste des prophètes), de la religion légale ou religion de l’hétéronomie (a. le mosaïsme ; b. le judaïsme, avec les subdivisions suivantes : influences persanes, influences égyptiennes et grecques, développement national du judaïsme ; c. essais de réforme au sein de la religion légale, avec les subdivisions suivantes : état du judaïsme au temps du Christ, l’essénisme, le judéo-christianisme, le judaïsme post-chrétien, l’islamisme), et de la religion de salut réaliste (a, la religion hétérosotérique du Christ ; b. la religion du Fils et la religion de l’Esprit).

Ces divisions, au moins dans leur principe, sont justifiées par les considérations suivantes. Le progrès qui transporte la conscience religieuse de l’humanité du terrain du naturalisme sur celui du supra-naturalisme, peut se faire dans une double direction. Dans l’hénothéisme conçu d’une façon moniste, on peut mettre l’action soit sur le Ἕν, soit sur le Θέος. Dans le premier cas, l’hénothéisme se transforme en monisme abstrait (religions de l’Inde) ; dans le second cas, en théisme ou monothéisme (judaïsme et christianisme). Le monisme abstrait ne commence par nier le naturalisme que d’une manière négative, en déclarant que la nature est un être non vrai, illusoire, qui ne doit pas être vis-à-vis de l’être vrai, un, pur et absolu, du Ἕν