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nous avait paru dès l’abord un progrès, à savoir la spiritualisation de figures divines naturalistes sur le modèle de l’esprit humain, n’a été au fond qu’un obstacle infranchissable à un développement supérieur de la conscience religieuse. Nous nous voyons donc forcés de chercher les représentants d’un développement poussé plus haut au sein des peuples qui, dans la représentation et la personnification de leurs dieux, n’ont pas dépassé le zoomorphisme, tels que les Égyptiens, les Indous, les Israélites, ou qui ne sont même entrés à aucun égard dans cet ordre d’idée, tels que les Perses. Chez ces peuples seulement, nous pouvons espérer nous trouver en face d’une systématisation du ciel des dieux, qui ne soit pas empruntée à des modèles humains, politiques et familiers, accidentels, mais soit déduite par le sens spéculatif de la structure naturelle et éthique du macrocosme.

Vain espoir. Sans doute l’Égypte arrive à bâtir un système moniste concret, à la tête duquel se trouve placée une divinité primitive une, à la fois absolue et cependant se manifestant par différentes actions ; mais, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que cette divinité primitive n’est que le contenant indéterminé de toutes les déterminations naturalistes possibles, qu’elle ne représente, en conséquence, que la synthèse contradictoire d’une unité, qui n’est rien par elle-même, avec la pluralité positive et réelle des éléments naturels. Quant aux anciens Perses, ils ont sans doute fait un pas de plus encore vers la vérité religieuse, ils sont parvenus à reconnaître que l’Être tout et un, pour être à la fois unité et fondement de toute pluralité, devait être essentiellement esprit au sens supranaturaliste du mot ; toutefois ils ont commis l’erreur d’attribuer encore à cet esprit absolu un corps physique, la lumière, ce qui rabaisse la divinité suprême au rang de prima inter pares, ce qui l’assimile aux divinités naturelles plus ou moins spiritualisées. Mais déjà, avec le parsisme, nous nous rapprochions de la limite qui sépare le naturalisme du supranaturalisme, et M. de Hartmann tient à marquer que cette religion a rompu déjà une bonne part des attaches qui la rivaient au premier stade de la conscience religieuse : ce n’est plus qu’un demi-naturalisme (semi-naturalismus).

La cause de ces nouveaux échecs venant s’ajouter à l’insuccès de nos ancêtres européens est à chercher au même point. C’est la contradiction fondamentale inhérente à l’hénothéisme, lequel tend à nous faire envisager comme divinités spirituelles et personnelles des forces naturelles non spirituelles et impersonnelles. Quand on en a saisi le vice secret, une double solution se présente. Ou bien la force de la nature est le dernier terme auquel puisse atteindre l’homme,