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VERNES. — de l’idée religieuse

le lien qui les unit ; dans l’autre cas, l’unité spéculative de la conception naturaliste du monde est mise hors d’atteinte, mais aux dépens de la spiritualisation et de la personnification précise des dieux, qui restent plus ou moins des puissances naturelles se fondant les unes dans les autres.

De la sorte, le progrès que réalise l’hénothéisme en spiritualisant et en anthropomorphisant les différentes divinités naturelles, équivaut à un renforcement du côté polythéiste qu’il renferme et recèle le danger d’aboutir au pur polythéisme. Contre ce danger, la conscience religieuse populaire dans ses meilleurs éléments réagit de temps en temps sans pourtant parvenir à se rendre sérieusement maîtresse des difficultés inhérentes à la nature même de l’objet, parce que la spiritualisation, une fois obtenue, de tant de figures divines empêche qu’on les ramène désormais à l’unité fondamentale qu’elles ont dans la nature. Lorsque ce processus arrive à se poursuivre en dehors de troubles du dehors qui viendraient l’interrompre, il doit nécessairement aboutir à des conséquences qui contiennent la dissolution même de l’hénothéisme ; on aboutit ainsi à la nécessité soit de reconnaître un seul des dieux suprêmes comme étant le dieu véritable et proprement dit (religion de Zeus), soit de considérer le monde des dieux comme une fantasmagorie dépassée, qui ne trouve sa véritable raison d’être que dans un utilitarisme terrestre (religion romaine), soit encore de maintenir l’existence de ce monde des dieux comme réel, mais en même temps comme incomplet, comme atteint de quelque blessure, comme voué à la destruction et destiné à entrainer l’humanité dans sa perte (religion des Germains). Par ces différents exemples, on voit clairement que la religion naturaliste, comme telle, n’est plus en état de donner à la conscience religieuse qui a parcouru tous ses degrés, qui a épuisé toutes ses formes, la satisfaction que celle-ci réclame d’elle, et qu’en même temps elle est hors d’état de s’affranchir par ses propres forces de sa base naturaliste. La voie est sans issue, il faut en chercher une autre.

L’expérience des Grecs, des Romains et des Germains ayant condamné les tentatives de satisfaire la conscience religieuse dans la voie de la spiritualisation anthropoïde, serons-nous plus heureux en tentant de la systématisation théologique avec l’Égypte et l’ancienne religion des Perses ? Il n’y paraît pas, et nous allons voir l’impuissance de l’hénothéisme se manifester sous cette seconde forme, comme sous la première. Toutefois ne devançons pas les résultats de l’examen.

Ce que nous devons confesser après l’enquête où sont venus témoigner les ancêtres même de l’Europe occidentale, c’est que ce qui