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un être déterminé, sur un groupe dont l’histoire s’établisse sans rupture, sans solution de continuité ! L’humanité est un terme trop vague et trop compréhensif ; il nous faudrait un groupe social particulier, le groupe égypto-sémitique ou le groupe indo-européen si on veut, ou plutôt encore le groupe oriental-européen constitué par les fréquentes alliances intervenues entre les deux familles. Sans doute, c’est à l’intérieur de ce groupe que M. de Hartmann puise ses exemples, mais il les puise tantôt à droite, tantôt à gauche, en négligeant le plus souvent les rapports de filiation, de parenté, d’ascendance et de descendance, de consanguinité. Etait-ce là la méthode qu’il fallait adopter ? Encore une fois, je ne veux pas dire non d’emblée, de peur de sembler rejeter à l’avance la conclusion du livre, mais je tiens plus encore à marquer qu’en présence de la place excessive donnée à une classification purement idéale, il me faudra double preuve pour me déclarer convaincu.

Abordons maintenant l’appareil des preuves.

III

L’hénothéisme ayant été posé, dès le début, comme exprimant l’état religieux de l’humanité primitive, encore engagée dans les liens du naturalisme, il faut voir dans le détail de l’étude des principales civilisations anciennes comment il se comporte dans différentes situations et de quelles évolutions il est susceptible. M. de Hartmann considère que deux voies s’ouvrent à lui, et nous allons résumer le plus fidèlement possible sa pensée, en nous attachant à reproduire les propres termes où il l’exprime.

D’une part, il arrivera que les figures divines de l’hénothéisme, qui, à côté de leur contenu naturaliste, se sont déjà assimilé, par les progrès de la civilisation et par la moralisation de l’idée religieuse, des éléments spirituels et moraux, se développeront plus encore dans le sens de l’enrichissement et de l’approfondissement de ces mêmes éléments. D’autre part, il pourra se faire que l’inséparabilité de ces différentes figures divines, la reconnaissance du lien intime qui les unit et du constant échange qui se fait entre elles, deviennent l’objet d’une spéculation théologique systématique. Dans le premier cas, le développement anthropopathique des figures divines conçues à l’image de l’homme, considérées chacune à part, s’empare du premier plan, et cette personnification spirituelle obscurcit la signification naturaliste des différents dieux, comme il fait perdre de vue