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d’exister pour nous, tandis que les religions de l’Inde continuent de vivre et sont remarquablement bien connues, sauf les divergences de vues qui se manifestent pour la période ancienne ; que la religion de la Perse ancienne, représentée par un petit groupe de sectateurs, se présente encore à nous à l’état animé ; que les documents littéraires et historiques touchant la Grèce et Rome sont d’une telle abondance et d’une telle précision qu’on peut espérer cataloguer leurs religions avec une chance de réussite presque égale à celle que l’on possède pour les espèces non encore disparues.

Il résulte du rappel de ces brèves indications, présentes à l’esprit de quiconque suit le mouvement des études d’histoire religieuse — et qui le suit avec une curiosité plus passionnée que l’auteur de la Philosophie de l’inconscient ? — que c’est uniquement dans le cercle de ces deux grandes familles, unies entre elles et mêlées par de nombreux mariages, l’égypto-sémitique et l’indo-européenne, qu’on peut poser la grave et troublante question du progrès religieux.

C’est aussi ce que fait M. de Hartmann, et La seule inspection de la table des matières nous montre qu’il ne s’est point embarrassé dans le détail d’une masse de religions dont l’étude ne l’aurait avancé à rien, mais qu’il s’est attaché aux grands produits de la double série révélée par les travaux récents, dont nous venons de reproduire la liste. Voici ceux dont il s’occupe : hellénisme, romisme[1], germanisme, égyptisme, parsisme, brahmanisme et bouddhisme, israélitisme, islamisme, christianisme. On voit que les religions assyro-babylonienne et syro-phénicienne d’une part, de l’autre les mythologies slave et celtique ont été laissées de côté.

Ici se pose une question préjudicielle, dont il nous est impossible de ne pas dire quelques mots avant d’entreprendre l’analyse raisonnée du fond même de la thèse produite par l’auteur. On voit que, dans la succession des religions sur lesquelles M. de Hartmann fait porter son enquête, il n’est tenu compte ni de leur appartenance à l’un des grands groupes fixés par la science, ni de la chronologie, c’est-à-dire de la succession plus ou moins établie de leur apparition. Nous sommes introduits en pleine série aryenne par la Grèce, Rome et la Germanie. Puis nous sautons de quelques milliers d’années en arrière et dans un tout autre ordre d’idées avec l’Égypte. De la religion du Nil au mazdéisme, nul ne pensera qu’il y ait une transition historique et naturelle. Le parsisme précède la religion de l’inde. Soudain, nous retombons avec les israélites dans la série sémitique,

  1. Qu’on nous excuse de rendre ainsi Römerthum ; le mot romanisme exposerait à des confusions.