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s’apercevaient pas que la religion avait été dans tous les temps l’une des formes principales de l’activité humaine et que sa connaissance devait être poursuivie par les méthodes pures de l’histoire. Quand cette dernière vue a commencé de prévaloir, grâce d’une part à la réduction des religions occidentales (judaïsme et christianisme) à leurs éléments naturels, qui fut opérée par la théologie protestante allemande, grâce, d’autre part, à la notion de l’évolution sociologique, comprenant les divers éléments de l’activité humaine, telle que l’affirmait la philosophie positive, l’histoire religieuse a commencé d’exister. En même temps d’ailleurs qu’elle prenait conscience pour la première fois de sa méthode et de son objet, l’histoire religieuse était mise, par d’admirables découvertes et par le progrès de la philologie, en possession de matériaux qui étendaient singulièrement le champ de ses recherches,

Aujourd’hui, adoptant les cadres de l’ethnographie et de la linguistique générales, nous sommes parvenus à reconstituer au sein de l’énorme variété des formes et des pratiques religieuses de l’humanité deux groupes : le groupe des religions égypto-sémitiques et le groupe des religions indo-européennes. En dehors de ces deux grandes familles religieuses, nous ne sommes pas sans avoir des notions précises sur telle région située au delà de ce cercle, telle que la Chine, telle que l’Amérique centrale ; mais nous avons de bonnes raisons pour prêter une attention particulière aux deux familles ci-dessus désignées. En effet, l’histoire de la civilisation de l’Asie cisgangétique et de l’Europe, c’est-à-dire l’histoire de notre civilisation, est indissolublement liée à la connaissance de ces deux grands rameaux de l’arbre religieux de l’humanité. À quoi il faut ajouter qu’aucun de ces deux groupes ne saurait être étudié et compris isolément, parce que, dès une époque fort ancienne, ils se sont entrecroisés et mêlés de façon à donner naissance à des produits mixtes. Ainsi la religion grecque, dans l’antiquité, avait subi fortement l’influence des idées et des pratiques orientales (sémitiques), et, ultérieurement, le christianisme, bien que n’étant à l’origine qu’une secte du judaïsme, c’est à-dire d’une religion purement sémitique, s’est bientôt transporté en pleine civilisation gréco-romaine (aryenne), de façon à combiner en soi les aspirations et les rites de deux des principaux représentants des deux familles.

Voyons de plus près de quoi se composent les deux familles[1]

  1. La linguistique et l’ethnographie tendent de plus en plus à considérer les Égyptiens, Phéniciens, Assyriens, Arabes, Israélites, etc., comme devant être ramenés à un seul groupe. La religion égyptienne offre, en particulier, les mêmes caractères généraux que les religions dites proprement sémitiques.