Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
revue philosophique

core d’autres dieux, qui sont adorés par d’autres gens, qu’eux-mêmes naguère invoquaient de la même façon ; l’hénothéisme a sa base dans l’identité positive que l’on reconnaît être à la base de toutes les divinités de la nature, identité qui permet d’honorer dans la personne de chaque dieu, principalement dans celle de chacun des principaux dieux admis dès l’origine, la divinité au sens absolu, le divin, Dieu, et en suite de laquelle il devient indifférent en quelque mesure d’adorer la divinité sous tel de ses aspects particuliers plutôt que sous tel autre. »

L’hénothéisme, tel qu’il se présente particulièrement dans les textes védiques, est la commune origine soit du monisme abstrait, soit du polythéisme, soit du monothéisme. En effet, « l’hénothéisme repose sur une contradiction. L’homme cherche la divinité et trouve les dieux : il s’adresse successivement à chacun de ces dieux comme s’il était la divinité cherchée, et lui confère des prédicats qui mettent en question la divinité des autres dieux. Ayant à se tourner vers différents dieux pour leur adresser des demandes différentes, il ne peut s’en tenir à une divinité naturelle unique ; il change l’objet de son rapport religieux et agit chaque fois avec le dieu particulier comme s’il était la divinité par excellence, sans remarquer qu’il dénie lui-même la divinité à tous les dieux en la leur attribuant à chacun tour à tour. Ce qui rend possible l’origine de la religion, c’est que cette contradiction reste sans être remarquée dans les premiers temps ; la persistance à méconnaître une pareille contradiction au milieu des progrès de la civilisation n’est possible, de son côté, que dans le cas où une extrême intensité du sentiment religieux empêche de faire à l’objet du rapport religieux l’application d’une critique rationnelle. Mais une pareille intensité du sentiment religieux ne se rencontre vi partout ni toujours, et il suffit d’un esprit de critique intellectuelle surgissant dans les intervalles de dépression pour rendre à la longue intenable le point de vue de l’hénothéisme. »

Deux voies se présentent alors pour faire disparaître la contradiction signalée. On peut maintenir l’unité aux dépens de la pluralité, ou au contraire la pluralité au détriment de l’unité. Par la première voie, on va au monisme abstrait, par la seconde au polythéisme. Du polythéisme, par dégénérescence, sortent le polydémonisme où animisme et le fétichisme.

Ce n’est pas ici le lieu d’instituer une discussion sur les prémisses de l’œuvre de M. de Hartmann. Assurément le patronage de M. Max Müller ne suffit pas à les rendre indiscutables ; l’éminent écrivain, trouvant une idée qui concordait avec sa tendance propre, s’en est peut-être emparé avec trop d’empressement pour l’appliquer à toutes