Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
VERNES. — de l’idée religieuse

les groupes humains nous fait assister à un progrès, il convient de déterminer à partir de quelle époque historique on se propose de fournir la démonstration du progrès en question.

À ce point de vue, ceux qui ouvriront ce volume seront peut-être étonnés, au premier abord, de voir l’auteur remonter jusqu’aux origines animales de l’espèce humaine, en consacrant ses recherches préliminaires à l’élucidation de cette question : Les bêtes ont-elles une religion ? S’il s’agissait, en effet, simplement de démontrer que l’humanité, à partir du premier éveil de la conscience religieuse, a accompli un progrès sensible dans sa conception du divin et de ses rapports avec lui, comme dans sa culture générale, une pareille thèse n’aurait nul besoin d’être démontrée, par la bonne raison qu’elle ne soulèverait aucune contradiction. Ce n’est point là non plus ce que l’auteur s’est proposé de faire dans cette sorte d’introduction, destinée à préciser pour ses lecteurs la terminologie de son sujet, à donner un certain nombre de définitions propres à assurer l’intelligence de sa pensée et à délimiter le terrain de la discussion.

Cette tâche préjudicielle comporte toutefois une grosse question qui ne saurait être passée ici sous silence. D’après M. de Hartmann, ni le terme de polythéisme, ni celui de fétichisme ou d’animisme ne conviennent à désigner l’état des idées religieuses de l’homme à ses débuts et pendant tout le cours de la période du naturalisme[1]. Il adopte un terme qu’a recommandé il y a quelques années l’éminent indianiste Max Müller, celui d’hénothéisme, et voici comment il en explique et justifie l’emploi : « Hénothéisme signifie une manière de concevoir et de traiter l’objet du culte qu’on a en vue, telle qu’on paraît s’adresser non pas à une divinité entre plusieurs, mais à la divinité elle-même, toutefois sans la pensée ou l’intention de vouloir exclure tels autres dieux de ce même traitement. Aussi peu la fantaisie, quand elle se représente Indra sous la forme d’un buffle, prétend exclure par là la possibilité de le représenter l’instant d’après sous la figure d’un aigle ou d’un faucon, aussi peu la fantaisie, quand elle offre ses hommages à la divinité suprême sous le nom du dieu de la tempête Indra, veut exclure part là la possibilité de l’adorer l’instant d’après, soit comme Surya, dieu du soleil, soit comme Rudra-Varuna, dieu du ciel. L’hénothéisme ne doit donc pas sa naissance au défaut d’association d’idées et à l’oubli de polythéistes, lesquels, en adressant leurs hommages à Surya comme au dieu suprême, perdraient de vue, par une incroyable faiblesse de mémoire, qu’il y a en-

  1. Le terme de naturalisme s’applique aux temps où l’homme n’est pas encore parvenu à dégager l’idée de Dieu des phénomènes naturels.