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VERNES. — de l’idée religieuse

ter la scène au profit de nouvelles idées dirigeantes qui y font leur entrée ? L’ancien édifice a décidément cessé d’être habitable ; il ne saurait plus être question de le réparer, mais de le reconstruire par la base. Ce qui reste du christianisme, depuis les derniers travaux de la critique et de la philosophie, ne constitue plus une religion capable d’inspirer et de réchauffer les cœurs ; tout homme consciencieux doit en faire l’aveu.

« La religion, disait encore textuellement M. de Hartmann, prend sa source dans ce fait que l’esprit humain se heurte au mal et au péché, et que, par suite, il aspire à expliquer leur existence et, si possible, à les vaincre, Celui qui se demande : Comment arrivera je à supporter le mal ? comment arriverai-je à réconcilier avec elle-même ma conscience tourmentée ? celui-là est sur le chemin de la religion, c’est-à-dire en voie de s’occuper de questions et d’intérêts qui sont au delà des intérêts mondains. Qu’on mette l’accent sur le mal ou sur le péché, c’est toujours le mécontentement à l’égard du monde (à l’égard des maux qui accablent l’individu ou de*la disposition personnelle au péché) qui mène à la religion. Si les impressions pénibles causées par le mal et par le péché ne pèsent pas assez dans le plateau de la balance pour surmonter, d’une manière durable, les impressions agréables de la vie du monde, les élans religieux de l’esprit ne seront que des velléités passagères, des sortes d’accès, sans influence continue sur les dispositions fondamentales de l’âme. C’est seulement quand le doute amer à l’égard du mal et l’angoisse de la culpabilité morale ont surmonté les satisfactions mondaines et ont formé le courant dominant, c’est seulement quand le point de vue pessimiste a pris la haute main, que la religion peut prendre pied dans l’âme d’une façon durable et ferme. Là où ne se trouve pas cette direction pessimiste de l’esprit, la religion ne saurait croître, au moins spontanément ; il ne peut y avoir dans ce cas qu’un respect de convention pour les côtés tout extérieurs de la religion, une fausse apparence de religiosité. »

Cependant l’écrivain, après avoir indiqué la nécessité d’une rénovation religieuse et mis le pessimisme à sa base, se défendait d’en être le fondateur. D’après lui, les hommes de science ne sont pas faits pour travailler immédiatement à l’établissement de nouvelles religions ; ils amassent les matériaux de la révolution qui se prépare, jusqu’à ce que se lèvent des hommes d’enthousiasme et de foi, chez lesquels l’idée du moment s’incarne avec une puissance irrésistible. Toutefois il est permis au penseur de marquer quelques traits du futur ordre de choses.

La nouvelle religion, loin de faire fi de l’expérience du passé, lui