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de l’esprit. « Celui qui tient la religion pour une illusion, dit-il en quelques lignes brèves et hautaines qui forment la conclusion de son œuvre, celui-là doit aussi tenir pour une illusion le développement (progression) apparent auquel cette illusion donne lieu ; mais celui qui est arrivé à la conviction qu’il y a un véritable développement (progression) sur le terrain de la religion, celui-là ne peut pas admettre que l’objet de ce développement (progression) soit une pure illusion… Ce n’est pas comprendre l’idée du développement que d’accorder qu’un processus perde son sens et sa raison d’être, précisément là où il doit arriver à l’achèvement (wo die Pointe kommen soll). Aussi vrai que la religion n’est pas une pure illusion[1], mais a partout pour support une vérité relative, qui croît au cours du processus, aussi vrai que ce processus des pérégrinations de la conscience religieuse dans l’humanité est un développement authentique et positif, — aussi vrai le postulat de cette progression historique providentielle doit tôt ou tard trouver sa réalisation. »

C’est là sans doute une thèse qu’il vaut la peine de discuter sur textes. Nous l’allons essayer.

I

Si nous nous reportons à la brochure intitulée La décomposition du christianisme et la religion de l’avenir, nous y retrouverons le germe des idées exposées dans le présent ouvrage, et par là même nous en aborderons l’étude dans de meilleures conditions. Dans cet écrit de circonstance[2], M. de Hartmann commençait par se poser cette question : Évolution ou révolution ? Les formes religieuses que nous tenons de la tradition, remarquait-il, sont incompatibles dans leurs points principaux avec notre conception générale du monde, et, d’autre part, des faits récents prouvent assez l’erreur de l’indifférentisme religieux de l’âge précédent qui prétendait que la religion est à la fois sans effet et sans nécessité pour le peuple. Ici l’écrivain faisait une double allusion au fanatisme catholique et aux violences de la démagogie socialiste. Sans doute, poursuivait-il, il vaudrait mieux réformer ce qui existe que prétendre créer à nouveau ; mais le pouvons-nous et ne nous trouvons-nous pas précisément en un de ces points de l’histoire, où une grande idée, ayant parcouru toutes les phases de son développement, est irrévocablement condamnée à quit-

  1. Nous soulignons d’après l’auteur.
  2. Voyez, dans nos Mélanges de critique religieuse, l’étude intitulée : La fin du christianisme d’après Hartmann.