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ANALYSES. — SUMMER MAINE. Institutions primitives.

une rente en nature et une prestation féodale s’il en fut, « la réfection, » consistant à recevoir chez lui et à régaler le chef et sa suite à des époques déterminées et pendant une série fixée de jours.

L’ouvrage se termine par deux chapitres d’un intérêt plus général et qui nous ramènent de l’histoire du droit à la philosophie du droit. « La souveraineté », « la souveraineté et les empires, » tels sont les titres de ces deux chapitres, titres un peu imprévus de dissertations qui ne paraissent pas avoir un lien bien étroit avec ce qui précède. Si nous comprenons bien la pensée de sir Henry Summer Maine, elle n’est pas tout à fait telle que la présente dans la préface son honorable traducteur. Sir Henry Summer Maine dit bien, ce que peu de philosophes songeront à contester, que, « dans les petites communautés primitives, les rapports sociaux ne s’inspiraient d’aucune règle délibérément convenue ou prescrite », qu’ils procédaient « de cette conscience nullement raisonnée, mais en quelque sorte intuitive, des nécessités et des intérêts sociaux, qui est la grande génératrice des coutumes ; » il dit bien, en d’autres termes, que la législation et l’autorité sociale sont nées de la coutume et de l’intérêt, non de l’idée abstraite de justice ; que, « dans l’enfance du genre humain, le droit est plutôt une habitude, et la loi se présente d’elle-même sans qu’on ait à la chercher ; » mais on ne saurait lui prêter pour cela cette pensée : que « l’équité naturelle est une formule vide de sens. » C’est une profession de foi que sans doute il ne signerait point comme moraliste. Il fait au contraire fort nettement, dans les dernières pages de son livre, une distinction qu’il reproche à Bentham, de n’avoir point faite et sur laquelle nous appelons l’attention de M. Durieu de Leyritz, celle du point de vue civil ou juridique et du point de vue moral. Le droit, comme fait social, est né historiquement du sentiment plus ou moins confus de la nécessité et de l’intérêt ; mais ce n’est point à dire que la philosophie du droit conduise nécessairement à la morale utilitaire. La formule utilitaire « le plus grand bien pour le plus grand nombre » présuppose l’égalité des personnes, qui est une notion morale et non historique. Bentham a donc raison comme juriste, le droit n’étant et ne devant être en effet inspiré que par l’intérêt public ; mais il a tort comme philosophe, l’intérêt publie n’ayant rien en lui-même qui le rende moralement respectable et ne devenant sacré que par les considérations d’égalité morale et de dignité. Il n’est pas un philosophe qui n’accepte sur ce point le jugement de sir H. S. Maine : « C’est en transportant cette règle (de l’intérêt général) du domaine de la législation dans celui de la morale, que Bentham a donné leur vraie raison d’être aux justes critiques dirigées contre son analyse des phénomènes moraux. »

Henri Marion.