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analogies profondes qui, dans les institutions comme dans les langues et dans les croyances primitives de tout le monde indo-européen, « décèlent une commune origine. » Il croit de mieux en mieux apercevoir « le type primordial des associations humaines ».

Dans l’Ancien droit, il avait essayé de dégager « quelques-unes des idées primitives du genre humain », de retracer la genèse, le développement et la filiation des notions juridiques sur la propriété, le testament, la succession, le contrat, les crimes et les délits. Sur tous ces points, il avait vu les idées et les institutions modernes de l’Europe se rattacher à un même fonds d’idées et de coutumes, commun, dans l’origine, à toutes les sociétés aryennes. — Ces sociétés, selon lui, entre autres caractères, ont toutes offert primitivement une sorte de communisme agraire : c’est cette forme première de la propriété du sol, forme à son avis générale et originelle dans tout le monde aryen, qui fait l’objet de son étude sur les Communautés de villages en Orient et en Occident. — Les Institutions primitives sont, je l’ai dit, la suite des mêmes recherches, élargies et approfondies. Ce n’est plus seulement aux antiques institutions de l’Inde, aux vieilles coutumes romaines, germaniques, scandinaves et slaves, qu’il demande le secret de nos origines juridiques ; le droit celtique d’Irlande vient confirmer ses vues antérieures et lui en suggérer de nouvelles. Le régime agraire des anciens Irlandais, notamment, lui éclaire le passage de la propriété collective à la propriété individuelle ; le mode de succession chez les Celtes l’aide à comprendre le droit de primogéniture.

Dans la transition du régime collectif au régime de la propriété privée se trouve une phase d’un intérêt tout particulier, celle de la communauté domestique ; les phénomènes qu’elle offre préparent et expliquent visiblement le régime féodal. Cette sorte de féodalité celtique est fondée non sur la propriété territoriale, mais sur la possession du bétail. Bétail et capital, c’est tout un (capita, têtes de bétail ; capitale ; cheptel). La population était clair-semée, la terre ne manquait point et avait peu de valeur ; la grande richesse d’alors, rare et convoitée, c’était « le capital d’exploitation », le bétail, le bœuf, qui eut, on le sait d’ailleurs, une place légale et un rôle quasi religieux dans la plupart des sociétés antiques. Le contrat du cheptel, par lequel le chef, principal possesseur du bétail, le concédait à la demande des membres de la tribu, entraîna de la part du preneur toute une suite d’obligations, réglées par « la loi de la tenure du bétail », et pareilles déjà aux charges féodales. Celui qui a reçu du bétail de son chef devient par cela seul son celle ou homme-lige et contracte envers lui ipso facto des engagements proportionnés au nombre de têtes reçues. Le ceile est ou un tenancier saer, c’est-à-dire noble, franc, où un tenancier daer, c’est-à-dire roturier, servile : dans le premier cas, le chef a droit « au croît ; au lait et aux engrais du troupeau, aux services de son tenancier pendant la moisson à sa main-d’œuvre pour la construction de sa maison, à son concours en temps de guerre » ; dans le second cas, le preneur lui doit en outre