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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

évident que, à l’audition de sons musicaux, ils n’éprouvent presque jamais de ces vibrations corporelles, de ces impressions qu’on a plus haut appelées tactiles. Il y a plus, les sons ne conservent guère le caractère musical, lorsqu’ils ébranlent ou seulement lorsqu’ils affectent sensiblement les nerfs non acoustiques. Ils descendent alors dans la catégorie des bruits dont s’accommodent parfois les organisations rudes, mais qui déplaisent aux personnes d’un sens musical délicat. Les sons musicaux se maintiennent dans une région moyenne qui est assez étendue, mais qui a des limites. Ceux là sont perceptibles et agréables : ils n’ont rien qui ressemble à des frictions, à des percussions, à des caresses de la peau senties en tant que telles.

Or, quand l’écoutant interprète des sons purement perçus et agréables, ce n’est pas comme tactiles qu’il les interprète, puisqu’ils ne le sont pas. Demandons-nous maintenant quelle peut être leur signification esthétique. M. E. Hanslick n’hésite pas à affirmer qu’ils ne sont appréciés que par la contemplation pure, sans aucune participation des nerfs ; M. H. Helmholtz, de son côté, dit que les sons, de même que les couleurs, ne valent qu’à titre de signes des choses extérieures[1]. Ajoutons que les choses extérieures ou bien sont radicalement inintelligibles à notre raison, ou bien sont conçues à notre image : point de milieu. Par conséquent, les choses extérieures sonores seront nécessairement conçues à l’image de ce que les sons nous expriment de nous-mêmes. Mais les sons qui, en nous, nous parlent le plus clairement, le plus agréablement de nous-mêmes, ce sont ceux de notre voix. Comment ne pas conclure de là que le type premier des sons musicaux, c’est-à-dire agréables, expressifs, susceptibles d’être interprétés par l’intelligence, est la voix même de l’homme ; et que si le chant nous charme encore plus que la voix parlée, s’il est encore plus expressif, c’est qu’il est sans doute un agrandissement, une idéalisation de la voix parlée ?

Cette façon de concevoir le type originaire de la musique ne doit pas être confondue avec certaines théories dont M. Ch. Beauquier a très bien démontré la fausseté. Pas plus que lui je n’accorderai que la musique soit une langue ; pour constituer une langue, des sons articulés sont nécessaires, et la musique n’en possède pas. Je n’admets pas davantage que la musique vocale ait pour étoffe première le cri ; le cri n’est qu’un bruit ; entre un bruit et un son musical, la distance est trop grande. Je ne dirai pas non plus que la musique est l’imitation de la voix parlée, parce que la musique est un art et que,

  1. Revue des cours scientifiques, 24 avril 1869. — Voir aussi Le son et la musique, par P. Blaserna et H. Helmholtz, p. 194. Paris, Germer Baillière, 1877.