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ANALYSES. — SUMMER MAINE. Institutions primitives.

« La genèse et l’évolution du droit chez les peuples indo-européens, » tel est, en effet, l’objet des recherches que sir H. S. Maine avait commencées dès avant son voyage aux Indes et qu’il poursuit depuis son retour. Il s’est fait une spécialité du droit préhistorique. Sa méthode est celle de la philologie comparée : il cherche la première et commune origine de nos institutions juridiques, « le germe d’où sont sorties toutes les considérations morales qui contrôlent nos actions et dirigent notre conduite dans les sociétés modernes » ; et ce germe, il pense le trouver par l’étude comparée des plus anciens documents du droit, comme on a retrouvé, en comparant les langues et les religions antiques des divers peuples indo-européens, la langue et la religion primitives de notre race.

Que faut-il pour que de telles comparaisons soient sûres et fécondes ? — Qu’elles portent sur le plus grand nombre possible de textes authentiques. Or un document d’une valeur inappréciable est venu depuis quelques années s’ajouter à ceux qui avaient jusque-là servi de base à l’étude des antiquités juridiques : le vieux droit des Celles a été exhumé des archives de l’Irlande. Tout le corps des coutumes et institutions celtiques dormait dans des manuscrits du ixe siècle, à peine feuilletés de quelques savants : O’Donovan en commença la traduction en anglais ; à sa mort l’administration irlandaise reprit à ses frais cette entreprise et en confia la continuation à une commission scientifique, laquelle a publié à Dublin, en 1866, 1869 et 1873, trois volumes in-8o, sous ce titre : Hiberniæ leges et institutiones antiquæ, or ancient laws and institutes of Ireland. Is contiennent les textes irlandais du Senchus Môr et du Livre d’Aicill, avec la traduction anglaise en regard. Notre savant celtologue, M. d’Arbois de Jubainville, fait d’assez importantes réserves de détail sur l’exactitude de cette traduction, à laquelle sir H. S. Maine a dû se fier entièrement, ne sachant pas le celtique. Mais il n’y a qu’une voix sur l’importance des textes en question, et l’on semble d’accord sur les résultats généraux auxquels ils conduisent.

Le caractère original de ces coutumes n’est pas plus douteux que leur ancienneté. On y distingue sans peine, sous les additions et interprétations plus récentes, « un corps de droit rigoureusement autochthone, un petit noyau d’institutions purement aryennes, » L’Irlande, on le sait, a échappé à la domination romaine, a repoussé l’invasion germanique et n’est tombée qu’au xiie siècle sous le joug de la féodalité anglaise, Ses primitives institutions se sont donc conservées intactes jusqu’à cette date, pendant que de toutes parts se modifiaient et s’altéraient les vieilles coutumes de l’Europe occidentale, sous la quadruple influence du droit romain, du droit germanique, du droit féodal et du droit canonique. On a dès lors, dans ce vieux droit des Celtes d’Irlande, un nouveau terme de comparaison et un excellent moyen de contrôle pour cette œuvre si hardie de la restitution des coutumes aryennes primitives. Sir Henry Summer Maine a pu vérifier une fois de plus les