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le sujet écoutant l’idée de la vie exprimée par la chose sonore.

Je crois cette analyse exacte. Reste à savoir si elle l’est pour tous les âges du sujet, et si dans l’écoutant, à toutes les époques de sa vie, l’idée de ce qu’expriment les sons aigus et graves a la même netteté. Reste aussi à chercher si la base de l’induction est toujours la même.

Un petit enfant est égayé par des bruits légers ou par des sons aigus ; il ne les soumet nullement à l’interprétation philosophique de tout à l’heure. Quant aux sons graves, ils ne l’effrayent point aussi longtemps qu’on ne lui a pas appris à leur prêter une signification effrayante. Le bruit du tonnerre n’épouvante point les jeunes enfants chez lesquels ni les gouvernantes ni les mères n’ont excité le sentiment de la peur à l’occasion de l’orage. Mais, du jour où on les a corrigés en accompagnant la correction de paroles prononcées sur un ton très bas et grondeur, ils associent désormais ce ton grave à la correction reçue, et une simple syllabe d’intonation basse suffit pour les frapper de crainte. C’est là un fait d’expérience journalière. Bientôt les bruits sourds de la nature, les sons musicaux très graves causent aux enfants des impressions semblables. Plus tard, l’homme fait les subit lui aussi. Dans ce cas, la base de l’induction, le point de départ de l’analogie a été incontestablement le ton irrité de la voix humaine. C’est tout simple, puisque la voix humaine est pour nous la manifestation la plus claire de la vie à tous ses degrés, tandis que rien n’exprime plus fortement la mort que le silence. Négligez ce souvenir de la voix humaine, vous tombez dans une conception métaphysique dont le philosophe est assurément capable et qui vient en son temps ; mais vous n’avez plus de quoi expliquer l’action des sons aigus ou graves sur les enfants et sur la généralité des adultes. Vous n’êtes même plus en mesure de rendre compte de l’induction philosophique en vertu de laquelle vous voyez dans certains sons un signe de la vie dans la matière ; car nul ne comprendra jamais quelque peu les sons de la vie dans les corps extérieurs, si ce n’est par comparaison avec les sons de sa propre vie.

On peut le dire, plus l’homme avance en âge, plus il apprécie et goûte dans les sons musicaux leur qualité expressive. Que devient cependant cette impression vibratoire qui nous prédispose, selon M. Beauquier, à la tristesse ou à la joie ? Que devient cette secousse des sons imprimée non seulement au tympan de notre oreille, mais au corps tout entier ? Une berceuse endort-elle l’adulte aussi sûrement que le petit enfant ? Un pas redoublé entraîne-t-il à marcher un dilettante, un philosophe aussi irrésistiblement qu’un soldat ?

Que les hommes adultes s’interrogent avec attention : il leur sera