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dans ce produit suprême de l’induction rationnelle, et qui offrent à la théodicée de si précieux avantages ?

« Toutes les fois qu’il s’agira de concilier entre eux les attributs que l’induction nous conduit à reconnaître dans le Créateur, nous savons « d’avance que nous ne le pouvons pas, parce que nous ne connaissons pas le fond de sa notion. Toutes les fois qu’il s’élèvera en nous une objection provenant de la providence divine et du gouvernement du monde, nous pourrons répondre que les desseins de Dieu sont mystérieux et que nous ne connaissons pas ses voies. »

Cette désinvolture n’a-t-elle pas quelque chose d’effrayant ? Ah ! nous le connaissions déjà, ce taon venimeux qui bourdonne autour du front d’Uranie et qui l’égare ; mais faut-il le chasser avec des pavés aussi lourds ? Quand on pense que ceci n’est pas écrit à l’usage exclusif des grands séminaires, comme les Théologies morales dont M. Bert a fait un commentaire si approprié, mais que ce livre s’adresse également aux laïques, aux profanes, au public libre, au public pensant, on serait tenté de se demander s’il n’y a pas là-dessous quelque malice et si l’on a bien compris l’auteur. N’étaient les raisons que nous pouvons avoir pour considérer cette trois cent onzième page comme plus ou moins stéréotypée, nous prendrions la liberté respectueuse d’en signaler à la corporation de l’Index l’imprudence et l’inopportunité.

Ceci montre jusqu’où l’on descend avec le système d’un enseignement traditionnel fondé sur l’autorité. On démontre, pour l’acquis de sa conscience, des thèses que l’autorité déclare démontrables ; et comme en réalité la foi qu’on leur porte repose sur de tout autres fondements que cette argumentation soi-disant logique, on néglige des objections qui ne laissent rien subsister du point démontré,

M. P. de Broglie est un tout autre homme dans les sujets où il est libre, où il est lui-même, et qui forment la propre matière de son beau travail. On n’admire jamais aussi cordialement un écrivain que lorsqu’il donne à notre propre sentiment une forme heureuse, une expression vive, que nous n’aurions pas trouvée ou dont nous n’aurions pas osé nous servir, Aussi, pour tempérer l’âpreté de nos critiques, terminerons-nous par une dernière citation, sur l’évidence de l’évidence, et sur la condition que se préparent ceux qui en contestent l’autorité comme critère.

Dans un passage que nous ne retrouvons plus, l’auteur a rappelé que le principe de contradiction n’est admis que sur la foi de son évidence. Ici, il s’adresse à ses adversaires habituels, qui exigent partout une vérification sensible.

« Le système, qui n’admet d’autre évidence que celle qui est sensiblement vérifiée, commence par supprimer tout le faite et toute la partie supérieure de notre édifice, Tous les résultats de l’induction rationnelle, toute la connaissance de la cause première est anéantie.

Mais les diverses parties de la réalité sont trop bien liées et trop solidement encastrées l’une avec l’autre pour que l’enlèvement de cet