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ANALYSES. — P. DE BROGLIE. Le positivisme.

droit à cet honneur que beaucoup d’autres et qu’on surfait par ce choix même, donne à l’ensemble quelque chose de louche. Elle entraîne des longueurs, des répétitions, une fatigue, que la clarté parfaite des développements ne suffit pas à racheter.

M. de Broglie croit à la métaphysique ; il le faut bien, sa tradition l’exige. Il avoue que la connaissance humaine est limitée ; mais il n’accorde pas à la critique le droit d’opérer a priori le départ entre la lumière et les ténèbres, la délimitation de l’espace susceptible d’être éclairé (tentative scabreuse en effet, où l’on entrevoit quelque chose qui simule assez bien la contradiction). Il franchit le seuil de la métaphysique. Non seulement il connaît les substances dont la collection forme le monde expérimental, et les causes efficientes de certains phénomènes ; il sort du domaine de l’expérience en esquissant l’idée du Dieu dont l’existence lui paraît prouvée par une induction rationnelle certaine sans le concours de la vérification expérimentale. Il entre donc en métaphysique ; mais il y paraît trop à son aise pour l’être bien réellement. À défaut du contrôle expérimental qui corrobore une présomption inductive par une certitude d’un autre ordre, il faudrait au moins que l’induction fût rigoureuse, et sa base inébranlable. Mais qu’élèverons-nous sur une base où la contradiction s’est établie dès le principe ? Qu’est-ce que des substances auxquelles s’applique inégalement bien la définition de la substance ? Qu’est-ce que des substances auxquelles la définition de la substance ne s’applique plus du tout ? Ce sont peut-être justement les plus importantes. La substance persiste en son identité, par opposition au phénomène, qui passe : aussi longtemps qu’elle existe, la substance ne change pas ; la permanence est le premier de ses caractères. Or il y a des substances composées. L’affirmation n’en est pas affaire de mots, mais de doctrine[1]. « Dans un être organique, il peut y avoir une substitution de molécules telle qu’après un long intervalle de temps on ne puisse plus dire qu’il est substantiellement identique à lui-même. Mais si ce renouvellement est lent, le changement n’est qu’accessoire, et dans son ensemble l’être dure d’une manière permanente. » Il possède ainsi le premier caractère des substances[2], et, comme on ne saurait lui contester les autres, il est substance, — Ainsi la circulation des molécules est accessoire dans l’être organique : c’est écrit. Mais qu’est-ce qui est lent ? qu’est-ce qui est rapide ? où est la mesure ? On voit assez que la distinction nette entre la substance et le phénomène reste à chercher. Et que dirons-nous de ces éléments de la personnalité puisés dans la considération de l’homme, qu’on peut attribuer en bloc à la cause première[3], « puisqu’elle est personne », sans tomber toutefois dans l’anthropomorphisme[4] ? Que dirons-nous enfin des contradictions qu’on reconnaît

  1. I, p. 123.
  2. Ibid., p. 125.
  3. II. p. 386.
  4. Ibid., p. 379.