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vienne coïncider avec le thomisme recommandé par l’encyclique du 4 août 1879, et de traduire le thomisme en une langue intelligible aux laïques de notre temps, quelle que soit la supériorité de l’ancienne[1] ? — Alors il était besoin d’une exposition beaucoup plus large et plus complète. Il fallait approfondir les catégories spécifiques du péripatétisme, voire du péripatétisme frelaté du moyen-âge catholique. Il fallait développer l’opposition de la forme et de la matière, sur laquelle on passe comme chat sur braise, et montrer comment elle s’accorde avec ce qu’on enseigne de la permanence des substances. Il fallait concilier la notion de substance matérielle avec cette analyse, et faire entendre, si l’on pouvait, ce qu’est la matière de ces matières qui se distinguent par leurs formes. La solidité de la notion de substance, où l’on s’appuie, est à ce prix. Il fallait, si l’on se flatte sérieusement de parler péripatétisme, faire voir où se touchent, où se séparent les notions de matière et de forme et celles de puissance et d’acte ; il fallait restaurer fortement, par une discussion approfondie, cette notion de la virtualité, de la puissance, qui s’impose à la réflexion et dont la prétérition fait tout l’être du phénoménisme. Que la raison suffisante soit un principe a priori, et que le moins ne soit pas raison du plus, nous le croyons bien ; mais le chêne sort du gland, et, si l’on n’admet pas la réalité de l’être en puissance, l’axiome semblera constamment contredit par la nature. Pour réfuter véritablement le phénoménisme, il faudrait lui faire voir que la puissance, dont il abstrait, ou plutôt qu’il nie, est impliquée en ses propres affirmations déterministes. Bref, si l’on voulait s’aider d’un système, il fallait le mettre en plein jour et le rendre intelligible, Puis, s’il s’agissait d’en établir la supériorité, il ne fallait pas l’opposer à deux ou trois écoles contemporaines, produits tardifs elles-mêmes d’une longue tradition ; il fallait l’opposer aux auteurs véritables de ces écoles, il fallait prendre le sensationnisme dans sa racine et rendre plus manifeste encore l’élément a priori de la connaissance, point qui est très bien touché sans doute, mais un peu en passant, avec plus de soin d’attribuer l’intellectus agens au moyen âge (arabe ou chrétien ?) que d’en bien établir la réalité ; il fallait aborder résolument le criticisme, dont on se débarrasse un peu légèrement, à notre avis.

M. l’abbé de Broglie a mêlé les deux tâches dans un travail purement défensif, « destiné à arrêter les progrès des erreurs et à préparer les esprits à recevoir plus tard l’enseignement de la philosophie catholique. » Son œuvre est « toute polémique », ce qui ne l’empêche pas de consacrer expressément des livres entiers à l’exposé de ses doctrines, le premier de la seconde partie, par exemple, le quatrième de la première, etc. Cette relation constante entre l’exposition didactique et la réfutation de quelques doctrines particulières, qui n’ont pas plus de

  1. Avant-propos, p. iii.