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ANALYSES. — P. DE BROGLIE. Le positivisme.

jours où l’éclectisme rhétorique était suprême ! Où donc déjeunait alors : la Philosophie ? Où dine aujourd’hui la Science ?

Il y a dans ces deux volumes un grand nombre de morceaux qui m’enchantent : ainsi la définition de la perception, où pourtant il aurait fallu s’arrêter davantage, car c’est la question dont tout dépend[1] ; la définition du jugement[2] ; l’explication de l’erreur du sensualisme, qui, par insuffisante observation du fait psychologique, prend pour point de départ les sensations isolées, résultat d’une première analyse et d’une première abstraction[3] ; l’analyse du toucher, et le contraste entre la clarté de l’interprétation spontanée qu’il reçoit et l’obscurité des signes, des sensations, considérées en elle-même[4] ; l’opposition radieuse entre la certitude physique et la mathématique, dont l’axiome éternel ne reviendra pas, si toutefois l’axiome éternel est encore de ce monde, et si les triomphantes démonstrations du révérend dialecticien ne sont pas déjà des exorcismes, ainsi que dans l’épaisse obscurité de notre province on serait tenté de le soupçonner[5] ; l’opposition entre les lois et les causes et l’explication de la tendance qui porte à les confondre[6] ; l’appréciation sommaire du transformisme et de sa portée réelle[7] ; la définition du bon sens comme d’un produit historique soumis au contrôle[8], deux morceaux pleins de bon sens et de mesure, quoique le dernier ouvre au dogmatisme antiphilosophique des portes qu’il faudrait condamner. Que de chapitres ne citerions-nous pas encore si nous voulions citer tout ce qui nous instruit, tout ce qui nous plaît ! Mais le plan de l’ouvrage ne nous sourit pas. S’agit-il simplement, comme le titre adopté le ferait supposer d’abord, d’établir que la science expérimentale, portant sur des substances et poursuivant des causes, aux sens définis des mots cause et substance, est contraire aux visées du phénoménisme contemporain ? — Alors un si grand appareil n’était pas nécessaire, et dans un volume plus portatif, la démonstration, plus alerte, eût porté coup plus sûrement. À quoi bon, lorsqu’on peut accabler ses adversaires sous la masse des preuves de fait et les dissoudre dans l’évidence, à quoi bon s’embarrasser d’un dogmatisme qui donne trop à penser pour ne pas jeter quelque ombre sur les plus fortes conclusions ? S’agit-il au contraire de proposer une nouvelle méthode et de jeter les bases d’un nouveau système, ce système fût-il fort ancien ? s’agit-il de corriger si bien l’œuvre de Reid et de Royer-Collard[9] que la philosophie du sens commun

  1. I, p. 167 et suiv. Comp. p. 447 et suiv.
  2. Ibid., p. 188-190.
  3. Ibid, p. 184-188.
  4. Ibid, p. 442.
  5. II, p. 234 et suiv. Le chapitre X tout entier.
  6. II, p. 170-175, p. 195-202
  7. II, p. 396-400.
  8. I, p. 115 et suiv.
  9. Voy. Introduction, p. lxxiv.