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ANALYSES. — DE BROGLIE. Le positivisme.

grande œuvre, un vaste système, dont bien des parties auraient paru étranges, hypothétiques, arbitraires, mais dont d’autres feraient l’admiration du lecteur par la profondeur des analyses et l’originalité des solutions. Rude, moqueur et parfois injurieux pour ses adversaires, il a aurait été violemment attaqué, mais il aurait vigoureusement riposté, et les écoles du monde entier auraient retenti des luttes qu’il aurait suscitées. Il aurait obtenu l’affection de ses disciples, l’estime de ses adversaires, et son nom serait resté avec autorité[1]. »

Ce morceau me semble avoir assez bonne grâce ; mais voici qui est d’un accent plus sérieux. Il s’agit de la liberté, et de l’objection du plus fort motif, qui néglige deux cas très fréquents, celui des motifs équivalents et celui des motifs hétérogènes. À la vérité, la sensibilité et l’imagination rendent ces derniers comparables entre eux ; un attrait quelconque est nécessairement plus ou moins fort qu’un autre ; mais, entre la raison et la sensibilité, il n’y a pas de commune mesure.

« Bien faible et bien superficiel observateur est celui qui n’a pas reconnu en lui-même cette variété de motifs et de mobiles, qui n’a point éprouvé ces luttes de la raison et de la passion, qui n’a point senti se raidir la chaîne de la conscience quand l’orage devenait plus fort, et qui n’a point reconnu non plus qu’il pouvait, s’il le voulait, se tourner vers le devoir pour l’embrasser, ou s’abandonner lâchement a à l’attrait prédominant. Nous disons de cet homme qu’il est un bien faible et bien superficiel observateur ; c’est ce que nous pouvons dire de plus favorable de lui, car, s’il avait bien observé, si réellement il avait, dans sa vie, toujours suivi sans résistance l’attrait prédominant, s’il s’était laissé toujours emporter par le mobile le plus fort, alors, quelle que fût sa conduite, quelque nobles et bienveillants que fussent ses instincts, c’est à peine s’il mériterait le nom d’homme, et il ne serait pas digne d’une estime plus grande que celle que nous accordons à un chien dévoué à son maître, qui suit aussi l’attrait prédominant de sa nature affectueuse[2]. »

N’est-ce pas de l’éloquence, la simple éloquence de la conviction ? Ne trouvez-vous pas ici le vrai fils de son père : vir bonus, dicendique peritus ?

Cet écrivain est un savant ; jusqu’à ce que la preuve du contraire m’ait été administrée, j’en resterai convaincu. Sans doute, il s’est beaucoup aidé des travaux de M. Helmholz, mais on ne sent pas moins qu’il est parfaitement chez lui dans toutes les questions moléculaires, et il est impossible d’être plus lumineux que lui sur la lumière et sur la vision, qui pour les ignorants, dont il reste encore un fonds par le monde, sont un véritable pot au noir.

Et le penseur, demanderez-vous (je l’espère) ? Ce qui nous intéresse avant tout, c’est le penseur. Eh bien, le noble chanoine est un esprit

  1. Tome II, p. 516.
  2. Ibid., p. 221.