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CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

détermination aux sentiments. La musique étant incapable de provoquer des idées nettes, son action se réduit à produire des sentiments indéterminés.

L’auteur étudie ensuite quelques-uns des principaux effets de cette action, et cette étude met en lumière le fond de sa théorie.

Ce fond consiste d’abord dans la description d’un effet produit sur l’âme par la vibration que notre corps reçoit des sons considérés uniquement en eux-mêmes. « Plus le mouvement vibratoire est rapide, dit l’auteur, c’est-à-dire plus le son s’élève, plus l’énergie vitale est développée, et par conséquent plus est vive l’impression de bien-être, de contentement résultant de l’activité à son plus haut degré. C’est pourquoi les sons aigus produisent une plus grande gaieté que les sons graves. Dans les sons graves, en effet,… la vie vibratoire est moins accentuée’ ; c’est l’état de la matière se rapprochant le plus de ce que nous appelons l’inertie, par conséquent le moins susceptible de produire une impression sur le corps. Le son très grave par cela même est effrayant. Nous ne l’associons pas aisément à la manifestation de la vie, au mouvement. Il nous surprend comme une révélation de l’essence de la matière sous sa forme la plus éloignée de nous. Tout ce qui est rapide nous plaît ; nous l’appelons vivant, et nous considérons la plus grande activité, comme la plus grande perfection des êtres[1]. »

On remarquera que, dans ce passage, à la description de l’effet de la vibration sur l’âme humaine, de la gaieté que lui causent les sons aigus, de l’effroi que lui inspirent les sons graves, s’ajoute l’explication de cet effet par une interprétation de l’écoutant. Celui-ci jouit des sons aigus non seulement parce qu’ils excitent son énergie vitale, mais aussi parce que son esprit y aperçoit une manifestation de la vie et que tout ce qui est vivant nous plaît. Inversement, les sons graves nous effrayent, non seulement parce qu’ils excitent peu notre vitalité, mais encore parce que chacun y aperçoit une faible, très faible manifestation de la vie, et que ce qui vit très peu et se meut cependant, à la façon d’un cadavre mobile, cause une terreur invincible. Ainsi, constatons-le, les dispositions vagues, les sentiments indéterminés, tout à l’heure attribués à la seule vibration nerveuse, sont presque aussitôt rapportés pour une égale part à un acte de l’intelligence, recueillant et interprétant les sons en tant que signes expressifs d’une vie plus ou moins rapide, plus ou moins intense, autre que notre vie propre. Donc, dès son premier pas, l’analyse de l’auteur rencontre dans l’objet sonore l’expression, dans

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