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VARIÉTÉS. — Les sept énigmes du monde.

produit de changements matériels dans le cerveau, le mouvement moléculaire, auquel répond l’impression de vouloir lever le bras, se lie naturellement à l’impulsion mécanique qui le fait mouvoir effectivement, de sorte qu’il ne reste plus, semble-t-il, aucune trace d’obscurité,

« L’obscurité reparaît toutefois pour le plus grand nombre, dès qu’on entre dans la sphère morale, On accorde sans trop de gêne qu’on est l’instrument de causes cachées, aussi longtemps que l’action est indifférente. Mais le moniste le plus résolu éprouve quelque peine à se persuader, en face des exigences de la vie pratique, que toute l’existence humaine n’est qu’une fable convenue, suivant laquelle une nécessité mécanique attribue à Caïus le rôle de criminel et à Sempronius celui de juge, moyennant quoi Caïus va se faire pendre, tandis que Sempronius va déjeuner… Et quand Quételet nous fait toucher du doigt la loi naturelle qui veut qu’il y ait, bon an mal an, tant de voleurs, tant d’assassins, tant de faussaires dans telle ville, il est pénible de se dire que si nous ne sommes pas de ceux-là, c’est que d’autres ont tiré les mauvais numéros à notre place… Les écrits des métaphysiciens sont remplis des essais qu’ils ont tentés pour concilier ie libre arbitre et la loi morale avec le mécanisme de la volonté. Les seuls problèmes éternels sont les problèmes insolubles.

« Les tentatives de conciliation entre l’ordre moral et le mécanisme universel les plus intéressantes pour le naturaliste sont celles qui se rattachent aux mathématiques. Descartes, qui considérait la quantité du mouvement comme constante dans l’univers et qui n’accordait point à l’âme la capacité d’en produire, lui attribuait cependant celle d’en déterminer la direction. Leibniz établit, au moyen d’un appareil superflu peut-être, cette vérité fort simple que, pour modifier la direction du mouvement, un quantum quelconque de force mécanique est indispensable, de sorte qu’on ne saurait attribuer ce rôle à la substance spirituelle sans abandonner l’opposition établie entre elle et la matière. Feu Cournot et M. de Saint-Venant pensent échapper aux serres du déterminisme mécanique grâce à la notion du décrochement. Ils estiment que, pour rompre l’équilibre instable et déterminer l’explosion de la force accumulée, il suffit d’une quantité de force minime et qui peut même devenir égale à O. M. le professeur Boussinesq, d’autre part, s’appuie sur certaines équations différentielles du mouvement, dont les intégrales admettent en certains cas des solutions telles, que la direction ultérieure du mouvement devient ambiguë ou complètement indéterminée… Il est douteux que ces expédients aboutissent à concilier le différend du fatalisme et de la liberté. M. Paul Janet s’est beaucoup avancé lorsque, sur la foi de nos trois mathématiciens, il a affirmé devant l’Académie des sciences morales et politiques la possibilité d’un indéterminisme mécanique. Identifier la thèse que la force nécessaire pour déterminer le mouvement peut être infiniment petite, avec celle que cette force peut être absolument nulle, c’est abuser d’un artifice employé par le calcul infinitésimal dans des conditions complète-