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cérébrale, ni la conscience en général. Ce point de vue est d’ailleurs insoutenable, les lois mécaniques et géométriques qui régissent les mouvements de la matière étant inconciliables avec l’idée que ces mouvements sont l’expression d’une volonté.

La sixième difficulté, l’origine de la pensée réfléchie et du langage, ne présente pas les mêmes caractères. L’espace énorme qui sépare de l’homme les organismes rudimentaires se laisse pourtant combler jusqu’à un certain point par les formations intermédiaires, comme celui qui sépare de l’adulte le nouveau-né. Nous voyons les fonctions intellectuelles se développer dans la série animale et dans l’individu. La théorie de la connaissance semble n’avoir besoin que de la mémoire et de la faculté de généraliser pour passer de la simple sensation aux degrés supérieurs de l’activité mentale.

« Ce qui fait l’intérêt poignant de la question, c’est l’étroit rapport qui l’unit au septième et dernier problème, le libre arbitre. La difficulté n’est pas pour nous comme pour la théologie et le moyen âge, de concilier la liberté humaine avec l’omniscience et l’omnipotence divines ; la difficulté est de la concilier avec les axiomes qui servent de fondement à la science du monde. Le principe de la conservation de l’énergie signifie que la force ne se produit et ne se détruit pas plus que la matière. L’état du monde entier, y compris celui d’un cerveau quelconque, est à chaque instant le résultat mécanique absolu de son état précédent et la cause mécanique absolue de son état dans l’instant suivant, On ne saurait admettre que deux événements ni deux pensées soient également possibles dans un temps donné ; les molécules cérébrales ne peuvent se disposer que d’une seule manière, comme les dés ne peuvent tomber que d’une manière dès qu’ils sont sortis du cornet. Une molécule quittant sa place ou sortant de sa route sans raison suffisante serait un aussi grand miracle que si Jupiter, sortant de sa voie elliptique, jetait la perturbation dans le système planétaire. Dès lors, si nos déterminations volontaires sont des phénomènes qui accompagnent nécessairement, quoique d’une manière incompréhensible, les mouvements et les dispositions de notre substance cérébrale, comme le monisme se le figure, il est évident qu’il n’y a pas de libre arbitre. Pour le monisme, le monde est une machine, et, dans une machine, il n’y a pas de place pour la liberté… Du moment où l’on prend le parti de déclarer illusoire la conscience subjective de la liberté, il est aussi facile au monisme qu’au dualisme extrême de concilier cette apparence avec la nécessité. Nous nous sentons libre en rêve aussi bien qu’éveillé, Nous savons aujourd’hui que beaucoup d’actions qui semblent calculées, parce qu’elles tendent à un but, sont les effets involontaires de certaines dispositions des nerfs. Lorsque nous observons le cours de nos idées, nous constatons bientôt qu’elles vont et viennent sans nous en demander la permission ; les décisions apparentes de notre volonté dépendent-elles réellement beaucoup plus de notre arbitre ?

« D’ailleurs, si nos sensations, nos désirs, nos représentations sont le