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VARIÉTÉS. — Les sept énigmes du monde.

les conditions sous lesquelles s’accomplissent une foule de phénomènes inorganiques, l’état d’équilibre dynamique de la matière par nous désigné sous le nom de vie peut bien s’être réalisé quelque part. Et si l’on admet un acte surnaturel, il suffirait d’un seul acte de cette espèce : celui qui appellerait à l’existence une matière en mouvement. La création n’exige qu’un jour.

L’apparente finalité dans la nature constitue une quatrième difficulté. Des lois de production organique ne sauraient fonctionner convenablement, si la matière n’a pas été criée originairement d’une nature appropriée ; l’existence de ces lois paraît donc inconciliable avec la conception mécaniste de la nature. Mais cette difficulté n’est pas plus absolue que la précédente. La sélection naturelle fournit un moyen de la tourner et d’expliquer la finalité interne de la création organique et son adaptation aux conditions du monde inorganique par un enchainement de circonstances agissant fatalement, comme les engrenages d’une machine. Ainsi qu’il l’avait déjà dit précédemment, cette théorie de la sélection fait à M. Dubois-Reymond l’effet qu’une planche flottante entre deux eaux produirait sur un naufragé qui se noierait en pleine mer : d’une planche, dit-il, et non d’une paille ; car celui qui n’a qu’une paille où s’accrocher est perdu, tandis qu’une bonne planche a déjà sauvé plus d’une vie. La théorie des conditions d’existence paraît singulièrement improbable ; néanmoins on ne saurait prononcer la quatrième difficulté réellement insurmontable, bien qu’elle soit de nature à jeter dans une perplexité singulière un esprit consciencieux.

La cinquième, en revanche, l’origine de la sensation, est absolument transcendante ; elle marque, avec le problème de la matière, la limite infranchissable des sciences naturelles. On ne dira plus avec Leibniz que les parties les plus minimes de la matière ne sauraient manifester d’autres propriétés que les plus grosses ; l’expérience établit suffisamment qu’il n’en est pas ainsi ; mais, à prendre la matière au maximum de division, il est absolument inadmissible qu’une disposition des atomes, un mouvement des atomes soit autre chose qu’un mouvement local, une disposition locale, et se transforme en conscience, Que la conscience dépende de conditions physiques, cela paraît incontestable ; mais une connaissance de ces conditions plus précise et plus détaillée n’avancerait en quoi que ce soit la solution de notre problème. Quand nous pourrions déterminer tous les mouvements moléculaires qui se produisent dans le cerveau comme nous déterminons ceux des planètes, cela ne nous apprendrait quoi que ce soit sur ce que nous voudrions savoir. Un mouvement quelconque, une situation quelconque relativement aux autres atomes, ne sauraient affecter intérieurement un atome sans conscience. Et si, renouvelant une philosophie de la nature justement décriée, on voulait attribuer à chaque atome la sensation et le désir, que M. Hæckel estime indispensables à l’explication des combinaisons chimiques, on n’expliquerait par là ni l’unité de la conscience