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quelques-unes de nos facultés seulement, mais avec toutes nos facultés récentes, que nous devons marcher hardiment à la conquête de la vérité définitive. Nous devons faire à l’imagination sa part dans l’explication de la réalité, non moins qu’aux sens, qu’à la raison. C’est le vice commun des philosophies antérieures de suspecter la vertu investigatrice de l’imagination et, comme fait Spinoza non moins que Malebranche, de la vouloir écarter de la contemplation du vrai. Elle n’y doit venir qu’à son tour et qu’à sa place sans doute ; mais elle n’en a pas moins de précieuses révélations à nous livrer sur certains secrets cachés de la nature, par exemple sur les secrets de l’activité esthétique qui se joue dans les productions de la nature, comme le génie humain dans les créations de l’art. En un mot, toutes les facultés qu’éclaire en nous la lumière de la conscience dérivent des mêmes puissances qui gouvernent l’aveugle évolution de la nature : l’être est partout le même, obéit aux mêmes forces, aux mêmes lois, soit que la conscience en éclaire ou non les manifestations diverses et inégales.

Le monisme de Dühring n’affronte pas seulement l’unité, et l’intelligibilité de l’Être n’est qu’un acte incessamment répété de foi et d’amour dans l’universelle perfection. Dühring ne se borne pas à formuler le suprême devoir et la suprême vérité dans l’axiome cher au matérialisme de Czolbe. « Contente-toi du monde tel qu’il l’est donné. » Cette formule lui paraît encore trop dominée par la réserve et le rigorisme de l’esprit kantien. Le moniste véritable croit que l’évolution graduelle des puissances de l’être fait surgir à l’existence toutes les formes possibles de la perfection ; que le développement de la conscience et avec elle de la félicité des êtres est la fin suprême de la nature. « Les êtres sentants doivent être regardés comme la fin de chaque organisme cosmique. Un monde absolument étranger à la conscience serait une œuvre avortée et déraisonnable, et comme un théâtre sans acteurs et sans spectateurs. »

Il est facile de déterminer après cela quelle est l’attitude de Dühring dans l’important débat du mécanisme et de la téléologie, qui divise les philosophes de notre temps, les partisans du monisme comme les autres. Son monisme, nous venons de le voir, admet une finalité cosmique et ne s’élève que contre les théories qui, selon lui, altèrent la véritable notion de la finalité ou veulent opposer la finalité au mécanisme.

La téléologie pessimiste de Hartmann ne peut trouver grâce évidemment devant une doctrine tout inspirée par le culte de la vie. La doctrine de la sélection, qui fait de la lutte sans trêve des espèces la condition de tout progrès et n’accorde aux vivants qu’une félicité