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comme autant de protestations anticipées contre la philosophie de l’Inconscient et désignaient à l’avance leur auteur comme son plus implacable adversaire.

Dühring n’était pas seulement d’ailleurs un savant et un économiste ; l’Essai sur la dialectique naturelle, 1865, comme l’Histoire critique de la philosophie, dont trois éditions successives ont consacré le succès (1869, 1873, 1878), montrent qu’aucune des solutions qu’avaient provoquées dans le passé les problèmes de la théorie de la connaissance ou de la philosophie pratique étrangère à son investigation critique, et qu’il n’avait songé à proposer une doctrine nouvelle qu’après, avoir mesuré l’insuffisance des philosophies antérieures.

Riche des connaissances les plus variées et les plus étendues, familier avec les méthodes de la science, avec les problèmes de l’économie politique, avec les enseignements de l’histoire, Dühring semble mieux armé encore que Hartmann pour marcher à la conquête de la vérité définitive.

Comme Hæckel, comme Hartmann, il la demande au monisme, à une philosophie qui doit réaliser la plus haute unité possible de la pensée et de la nature. Le monisme nouveau s’intitule fièrement la philosophie de la réalité (Wirklichkeitsphilosophie), c’est-à-dire de la réalité matérielle, de celle qui agit sur nos sens et sur laquelle nos sens ont prise à leur tour, la seule que reconnaisse la science, la seule que le philosophe désormais puisse admettre.

Ce monisme repose tout entier sur la théorie de la connaissance de Dühring, telle qu’elle se présente à nous, avec une riche diversité de formes et d’applications, mais avec une constante unité de principes dans tous ses ouvrages, depuis la Dialectique naturelle, de 1865, jusqu’à la Logique, de 1878.

L’être est un ; le fonds de l’être est partout identique. Les formes et les lois de notre pensée sont aussi celles de la réalité. Nous ne vivons pas seulement au sein de la nature ; nous vivons de la vie de la nature. Tous les êtres sont les enfants de la même mère. « On ne saurait rien découvrir dans le monde qui ne se rattache par quelque lien de parenté aux éléments de notre nature, qui ne nous soit intelligible par eux[1]. »

Le principe de l’unité de l’être et de la pensée que professe Dühring ne saurait être confondu avec le principe, en apparence semblable, de Hegel. L’être pour Dühring, comme pour Spinoza, c’est

  1. Duehring’s Logik und Wissenschaftstheorie. Leipzig, Fuess, 1878.