Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
revue philosophique

science et d’activité spontanée, il suit de là que tout être est une cause finale, une forme, que chaque être poursuit laborieusement, à travers des transformations sans fin, la réalisation d’une idée, dont lui seul renferme le secret, bien que ce secret échappe d’ordinaire à sa connaissance distincte. Les merveilles des trois règnes de la nature, les délicates ou grandioses constructions des atomes, les subtiles combinaisons de l’activité organique dans la plante, les étonnantes démarches de l’instinct chez les animaux, les inspirations supérieures des races ou des individus de génie portent partout l’éclatant témoignage de la finalité inconsciente, qui préside au développements et aux destinées des êtres. L’imagination de Noiré s’enflamme à la pensée de cette vie de la nature : c’est sur le ton du poète, et dans une sorte de prosopée adressée à la plante, qu’il nous décrit la vie obscure, le rôle de la plante et voit résumé en elle le drame universel[1].

Le monisme évolutioniste, dont Noiré emprunte les traits principaux à la monadologie, peut seul mettre un terme à l’opposition de l’idéalisme et du réalisme ; seul il fournit la solution des problèmes tant discutés sur l’origine de la vie et sur celle de l’esprit humain.

Cette confiance illimitée dans l’efficacité de ses principes n’empêche pas Noiré de s’interroger sur la valeur et les limites de la science humaine. Les chapitres IV et VI de son livre contiennent sa théorie de la connaissance résumée sous les titres suivants : « La science du savoir », « Les limites naturelles de notre connaissance ».

Tout en célébrant comme il convient la puissance du mécanisme scientifique et en s’associant sans hésiter à toutes les espérances que suscitent et qu’encouragent les progrès de la physiologie nerveuse et de l’anatomie cérébrale, Noiré professe hautement que les mathématiques sont absolument impuissantes à rendre un compte suffisant de la sensation, et demande que l’on sépare avec soin la mécanique et l’esthétique, la science des mouvements de celle des sensations.

« La nature du principe spirituel veut que le passé se reflète en lui sous telle forme et non sous telle autre ; qu’il soit soumis à l’action non pas seulement des causes prochaines, des corps voisins, mais de l’univers entier. Quelle mécanique sera jamais en état de calculer de pareilles influences[2] ? » L’éternelle vérité qu’il faut toujours avoir présente à l’esprit, c’est que » le mouvement seul, la propriété extérieure de l’être peuvent être perçus et par suite calculés ; la propriété intime, le sentiment, n’est accessible qu’à la sympathie[3]. »

  1. P. 133.
  2. P. 182.
  3. P. 204.