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NOLEN. — le monisme en allemagne

« Le sentiment ne se développe que par l’effet du changement. Il a pour propriété essentielle de se modifier sous l’action du temps, c’est-à-dire par la répétition fréquente des mêmes impressions (p. 40).

« Toute chose dans le monde, jusqu’à l’atome, est pour soi un sujet, pour les autres un objet. Mais les objets ne peuvent être éternellement pour nous que des sensations, c’est-à-dire des représentations d’objets » (p. 325).

Que devient la matière, la force mécanique dans ce monde d’individualités vivantes qui toutes ont part au sentiment, à la conscience ?

« La matière est pour nous l’être, la substance, le principe éternel, que notre science poursuit jusque sous sa forme la plus simple, dans sa première manifestation, à laquelle nous donnons le nom d’atome (ou avec Leibnitz celui de monade). L’atome ne contient rien de plus que les deux attributs primordiaux et constants de l’être, le mouvement et le sentiment. La matière ainsi entendue pâtit, en tant que chaque forme supérieure résulte de l’évolution de l’être à travers les formes inférieures ; elle est active, en tant qu’elle n’obéit aux impulsions d’aucune puissance étrangère, d’aucun esprit céleste, mais s’élève d’elle-même par une évolution spontanée et dans un progrès indéfini à des formes de plus en plus hautes de la vie spirituelle[1]. »

De son côté, le mot force, dans son acception physique où mécanique, ne représente que la quantité du mouvement. Il n’y a pas plus de différences spécifiques dans le monde des forces que dans celui du mouvement, mais seulement des différences quantitatives qui ne peuvent se mesurer qu’autant qu’on les rapporte à une énergie constante, à un quantum éternellement invariable de mouvement. « La direction, l’adaptation de ces mouvements à la production de formes nouvelles, c’est là l’œuvre, l’acte de l’esprit. »

Il faut donc en revenir aux profonds enseignements de Leibnitz et reconnaître avec lui que toute réalité réside dans les monades.

« Chaque être est une monade dont l’essence intime est exclusivement de nature spirituelle (aperception et volonté), dont le corps est une matière en mouvement, un composé mécanique, qui doit sa forme, sa grandeur à l’action du principe spirituel, auquel il est associé. De même que l’action mécanique des molécules corporelles suppose un centre de gravité, l’action du principe spirituel a aussi en quelque sorte son point central, d’où partent les impulsions déterminées en sens divers[2]. »

Si nous reconnaissons dans tout être un certain degré de con-

  1. P. 68.
  2. P. 123.