Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
revue philosophique

sentiment et du mouvement et sous les deux formes du temps et de l’espace.

Ce n’est pas assez dire : l’analogie veut que partout l’être apparaisse comme individu, comme moi.

« Si je pénètre au fond du plus rudimentaire des êtres, si je réussis à sentir comme il sent, il ne m’apparait plus que comme moi, comme vouloir, conscience, liberté. Si je le considère, au contraire, du dehors, si je me contemple moi-même du point de vue d’un observateur étranger, tout dans l’être est mouvement, nécessité pur effet de rapports avec l’espace et avec un passé incommensurable de force enfin. »

Tout individu est une collection d’individus ; tout corps vivant, une collection de cellules dont chacune a sa vie, son moi propre. « Chez moi comme chez la plante agissent les quatre grands moi de l’oxygène, de l’hydrogène, du carbone et de l’azote. Ils travaillent de concert et se succèdent rapidement pour construire l’édifice merveilleux de mon organisme. En même temps agissent en mon être, comme d’autres moi, le génie de ma race et celui de l’humanité. Toutes les grandes actions, toutes les découvertes qui ont illustré dans le passé des individualités puissantes et bien déterminées, revivent en moi comme autant d’inspirations secrètes, etc. »

Chaque moi, chaque individu vivant est une force qui se développe indéfiniment et qui s’enrichit d’attributs nouveaux, et supérieurs dans une incessante évolution. Plus les formes de l’existence sont simples, plus elles sont primitives. « L’évolution du monde est un développement continu de propriétés nouvelles, et, la fixité des propriétés acquises s’y mesure à la durée de l’évolution qui les a préparées[1]… Chaque substance chimique est un individu, le produit d’une évolution qui a duré des siècles sans nombre, tout aussi bien que les différences spécifiques du règne végétal et du règne animal ; mais l’évolution d’où sont sorties ces dernières, a été beaucoup plus rapide[2]. »

La conscience, qui appartient essentiellement, comme nous l’avons vu, à tous les êtres, demeure enveloppée et obscure, tant que les atomes conservent leur mouvement primitif et continuent de se repousser réciproquement.

Mais aussitôt qu’ils se combinent, que leurs actions se subordonnent, le sentiment du moi devient plus énergique, plus distinct par ce concours mutuel ; nous disons alors que la conscience s’éveille dans l’individu[3].

  1. P. 134.
  2. P. 124.
  3. P. 113.