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NOLEN. — le monisme en allemagne

nature et l’esprit, sous leurs formes multiples, ne se rencontrent que des différences de degré. Partout nous devons rencontrer la vie associée à la matière aussi bien dans les corps célestes que dans la conscience humaine ; car la volonté est partout, et partout elle se manifeste avec ses deux attributs fondamentaux, le sentiment et le mouvement.

« Nous ne découvrons dans les planètes qu’une activité purement mécanique, parce qu’elle diffère trop de celle que manifeste à nos yeux la sensibilité infiniment plus développée de l’animal et de l’homme ; ces grands corps étaient pourtant autrefois les maîtres, les dieux de la terre, et leurs actions réciproques composaient l’histoire du monde. La première étincelle de la sensation animale n’est pas tombée du ciel comme par un miracle ; elle n’a pu s’allumer et s’alimenter qu’à un foyer préexistant de sensations semblables. De l’absolue inconscience, jamais la conscience à un degré quelconque, n’aurait pu sortir.

« En tout être se rencontre une faculté analogue à celle qui constitue l’esprit de l’homme et dont l’esprit humain est la plus haute manifestation. Schopenhauer appelait cette faculté du nom de volonté ; nous la désignons sous celui de sentiment. La conscience en est l’attribut essentiel.

« Comme il n’y a qu’une espèce de mouvement, il n’y a aussi qu’une espèce de sentiment. Les différences sont simplement des différences de degré.

« Avoir clairement entendu cette vérité comme Schopenhauer, c’est posé le solide fondement de la vraie philosophie, et cette philosophie n’est autre que le monisme[1]. »

Mais Schopenhauer, égaré par Kant, a eu le tort de ne point admettre que le temps et l’espace sont des attributs de l’être, en même temps que des formes de la pensée. Il n’a point vu que nos concepts abstraits du temps et de l’espace reposent sur les deux propriétés essentielles de l’être, le sentiment intérieur et le mouvement extérieur. « Ce sont deux abstractions. L’espace est la plus haute unité à laquelle se ramènent les oppositions du sentiment. Si l’on demande en outre d’où viennent nos concepts d’unité et d’opposition, je réponds qu’ils sortent du fond le plus intime de notre être, de la certitude inébranlable que nous avons de notre moi, de la conscience de notre unité substantielle, qui comprend en même temps la conscience d’une opposition, d’un non-moi[2]. »

Partout donc, dans l’univers infini, et non seulement dans la conscience humaine, la volonté se manifeste par les deux attributs du

  1. Der monitische Gedanke, p. 13 et 24 de l’introduction.
  2. Ibid.